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LES POEMES 347

est libre ; le vers dit libre ne l'est pas. Il use systématiquement de retours, de parallélismes, d'échos, il suppose une préconcep- tion harmonique qu'aucune prose ne saurait tolérer. On dit bien — je l'ai dit moi-même — que la pensée j crée la forme ; mais notons-le, elle la crée dans les limites que lui tracent certaines lois encore mal formulées peut-être, mais dont le poète a l'instinct, dont il doit avoir le respect. La strophe libre, comme toutes les strophes, est une construction rhyth- mique qui ne différera des constructions traditionnelles que par plus de subtilité. Baudelaire demande au poème en prose de suivre jusqu'au bout sa fantaisie ; il le conçoit comme une œuvre d'inspiration.

D'illumination, dira plus tard Rimbaud. C'est le mot juste. D'un mot il le ramène à son dessein essentiel et pur, à son natif et spontané génie.

Le poème en prose selon Baudelaire, affecte encore la forme narrative ; il contera telle anecdote, il poursuivra tel paradoxe : bien plutôt jonglerie d'idées que fusée de sensations et d'intuitions immédiates. Arthur Rimbaud abdique sa raison, proscrit tout processus logique ; il ne veut plus admettre, accueillir, refléter que des éclairs et que des rêves, que ce qui naît d'une irrésistible poussée, noué profondément à sa plus obscure substance, sur le bord de l'inconscient. Il ne s'agit plus à aucun degré d'un écrivain, même inspiré, qui exécute librement un petit morceau d' " écriture artiste ". Il s'agit d'un illuminé.

O mon Bien ! O mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! Chevalet féerique ! Hourra pour l'oeuvre inotûe et pour le corps merveilleux^ pour la première fins !

" Pour la première fois ! " Voilà le mot d*ordre, voilà la devise ! Que si parfois l'illuminé se rencontre avec l'artiste styliste, croyez bien que c'est par hasard ; il procède par le ledans. Et c'est par hasard que son rêve informe épousera une idence.

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