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480 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Je ne me lasse pas plus de Suétone que de Plutarque. Sans y être pour rien, Plutarque est le plus beau. Mais Suétone a bien plus de trait et de force. Il n'est pas moral. Il n'est pas ironique. Il n'est pas avocat. Il est impassible. Il réfère. Il mire. Il dessine d'après nature.

Le courage de Suétone n'est pas de braver les Césars, au temps des Antonins, ni au profit d'une dynastie régnante de condamner une dynastie morte. Il n'est même pas de mettre à nu les res- sorts de la toute puissance, et ces fonctions de la souveraineté que tout le monde cache. Il est d'oser les voir.

Suétone est un des seuls hommes qui aient eu l'audace de peindre sur le modèle vivant. Il ose regarder la nature ; il est capable, il a le front de la voir. Combien d'artistes, combien de poètes ont ce courage ? Cent mille bouches éloquentes, et pas un fort regard.

Le courage de Suétone, qu'en sais-je, après tout .? Pour être j uge du courage, il faut connaître tout le risque de l'homme. Le courage de Suétone semble sans égal : il n'est pas du tout oratoire. Et il n'est pas assez moral, pour être cynique. Ce courage est de l'œil et de l'esprit. II dit ce que Tacite n'ose pas dire. Bien moins peintre que Tacite, il est plus précieux, peut-être. Je ne croirai jamais que Suétone marque des traits si hardis, si rares, si forts, sans savoir ce qu'il fait.

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