Page:NRF 8.djvu/491

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

CHRONIQUE DE CAERDAL 485

peut jamais être faite. On le sait un peu, quand on a vécu en des temps troublés, et qu'on a vu, non seulement comme l'histoire est faite, mais ceux qui la font. Je sais dix historiens de grand bobant, comme dit Joinville : à dix ans d'intervalle, avec la même science, et le même don imperturbable de certitude, ils eussent fait la même histoire en deux sens totalement contraires : c'eût été assez de donner à l'un la maîtresse de l'autre. Voilà le Sinaï, d'où ils lancent aux peuples leur Nunc erudimini. Monsieur Taine, s'il se fût mis à l'his- toire avant Sedan, il eût conclu à la République. Il n'a écrit ses Origines que par horreur de la Commune. Quelle science est-ce là } Tous les historiens ensemble, on les oublie de vingt en vingt ans, les uns aux dépens des autres. Suétone dure, et Saint-Simon dure. Que ne donnerait-on pas pour avoir un Suétone en chaque siècle, et un Saint-Simon, tout le long des temps } Précisément, tous les historiens et toutes les histoires.

Avant Suétone, on s'occupe des grands hommes, non pas dans le fait de leur vie, et tels qu'ils ont été pour soi-même ; mais dans l'idée qu'on peut avoir de leur action, et la morale qu'on en tire. Suétone, sans prétendre à la psychologie, est un autre amateur d'âmes. Il a si fort le sens des caractères, que son modèle tout sec ne lui suffit pas. Ses portraits ne vont jamais sans la parenté de

�� �