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Page:NRF 8.djvu/571

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ARTHUR RIMBAUD 565

cette lettre enfin d’Isabelle Rimbaud qui raconte les derniers jours de son frère à l’Hôpital de la Conception à Marseille :[1]

« …Il me regardait avec le ciel dans les yeux… Alors il m’a dit : Il faut tout préparer dans la chambre, tout ranger, le prêtre va revenir avec les sacrements. Tu vas voir, on va apporter les cierges et les dentelles, il faut mettre des linges blancs partout… Eveillé, il achève sa vie dans une sorte de rêve continuel : il dit à présent des choses bizarres, très doucement, d’une voix qui m’enchanterait si elle ne me perçait le cœur. Ce qu’il dit, ce sont des rêves, — pourtant ce n’est pas la même chose du tout que quand il avait le délire. On dirait et je crois qu’il le fait exprès.[2] Comme il murmurait ces choses-là, la sœur m’a dit tout bas : « Il a donc encore perdu connaissance ? » Mais il a entendu et est devenu tout rouge ; il n’a plus rien dit, mais la sœur partie, il m’a dit : On me croit fou, et toi, le crois-tu ? Non, je ne le crois pas, c’est un être

    quelques années de vrai repos dans cette vie ; et heureusement que cette vie est la seule et que cela est évident, puisqu’on ne peut s’imaginer une autre vie avec un ennui plus grand que celle-ci ! » (Aden, 25 mai 1881). Il a touché le fond, du moins il le croit. Cette région de la Mer Rouge qui finit par fixer l’errant est bien celle du monde qui ressemble le plus à l’enfer classique, « l’ancien, celui dont le Fils de l’Homme ouvrit les portes. »

  1. À ce moment elle ignorait tout des livres de son frère. Cette lettre adressée à Madame Rimbaud est datée de l’hôpital de la Conception, 28 octobre 1891.
  2. C’est moi qui souligne.