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Page:NRF 8.djvu/671

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LA MÈRE 665

Alors de Braganza, blessé, se levait et défendait son hon- neur dans les termes les plus corrects, disant qu'on l'avait oflFensé et que cette flétrissure voulait être lavée...

— Mais joue donc, faiseur d'embarras ! lui dit Al- meida. Et de Braganza se rassit, l'œil errant, et recompta ses basses cartes. Almeida, sans rire, se divertissait de lui, et la partie continua.

Derrière le dos du père, étendu sur sa chaise longue, Sussie suivait le jeu, de ses yeux noirs, un peu voilés. Elle avait dormi et se sentait bien. Elle faisait face à Van Leer et celui-ci ne pouvait pas ne pas lever la tête de temps en temps pour contempler cette figure si belle, d'un éclat éblouissant. Les joues avaient repris leur pâleur unie, à peine teintée, et les yeux étaient sans fièvre, mais les fins traits se gonflaient avec plus d'opulence, suggérant que la jeune fille s'était encore développée, qu'elle avait changé depuis deux heures, qu'elle était devenue plus femme... Et soudain il se passa quelque chose qui fit soupçonner à Van Leer, avec une espèce de terreur, qu'elle n'avait même pas été souffrante, mais que la vie s'était insinuée plus sainement dans ses veines, avait mûri son sang, et que c'était cela " sa fièvre ".

Ce qui était arrivé, le voici : en un moment où Van Leer l'observait, Sussie retint son regard en dilatant le sien si large que le blanc azuré de ses yeux fit comme un anneau autour de l'iris sombre. Et tandis qu'un vacillant sourire se répandait sur sa bouche, elle allongea lentement vers lui ses bras ambrés derrière la chaise du père, ferma puis rouvrit ses sottes petites mains... Il y eut encore ceci : un geste absolument inconscient de la jeune fille, qui donna le vertige au hollandais.

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