670 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
larmes ? Ha, que d'eau sans sel ! et cuits là dedans, jour et nuit, quels légumes fades, ces sentiments humides : toute la paroisse est assurément vouée au rhumatisme. C'est pourtant ce vicaire que Gœthe, l'homme du siècle, osait préférer à Manon Lescaut.
De vrai, il n'est esprits libres que de Paris. Et encore, n'est-ce que de loin en loin : même en France, un parti de charlatans en morale et en politique leur contestent le droit de vivre. A l'étranger, la superstition de la morale empêche la plus forte intelligence d'atteindre l'âge d'homme. Vrais hommes, vrais esprits libres : je n'en vois nulle part, dans l'art d'écrire, qu'en France et en Russie.
Le grotesque Grandisson^ le Roland de la vertu, l'Achille des niais, est né pour le bonheur des hommes sensibles, neuf ou dix ans avant Saint Preux ; et par lettres, hélas, il fallait s'y attendre, comme Julie. ^
Le style niais et le parlement ont la même origine. J'accorde que Jean Jacques en est victime, comme Jeanne d'Arc à Rouen, et comme le monde entier.
' Fénelon est mort en 1715. Richardson est né en 1689 : Paméla ou la Fertu récompensée est de 1740 ; Grandisson de 1753. Diderot est né en 17 13. Gessner, cette fistule champêtre, a vu le jour en 1730. Et Euler lui-même, né en 1707, a mis de la sensibilité dans la géométrie.
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