712 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Ainsi, ce sont des influences littéraires, artistiques, scientistes, des influences intellectuelles, qui séparent les deux amants, René cesse d'aimer Marie parce qu'il a lu la Physique de V Amour de M. Remy de Gourmont, parce que Maurice Denis, un jour, a exalté devant lui la peinture de Fragonard, et enfin parce qu'un article du docteur Grasset lui a révélé l'étroite dépendance qui relie l'inclination sexuelle aux centres polygonaux.
J'observerai d'abord que c'est un piètre sentiment, en vérité, que celui qui cède à une lecture ou à une conversation, une bien chétive passion que celle qui est dirigée, au lieu qu'elle dirige, qui est modifiée par des idées, au lieu qu'elle les modifie, qui " est agie, " au lieu qu'elle agisse. Au vrai, René Auberive n'est pas un amoureux. Nourri de mots, de couleurs, de sons d'instruments, de sensations quintessenciées, il vit uniquement dans sa tête. C'est un raisonneur, un cérébral. D'autre part, il est riche et mondain. Tout le sépare d'un sentiment un peu intense, d'une vie un peu profonde : son aisance, le milieu factice dans lequel il évolue, les bienséances mondaines, l'exercice intempérant de l'esprit. C'est le tort de M. Bidou de nous avoir donné pour un amoureux un incapable d'aimer.
Ce n'est pas son seul tort. Je ne puis pas m'empêcher de soupçonner qu'il a laissé trop tôt " cristalliser " en lui son dessein sans avoir vu de quel sens tragique, de quelle significa- tion générale, de quelle portée universelle était gros le conflit de ses deux personnages.
Voici un enfant de vingt ans qui, avant de l'avoir possédée, cesse d'aimer une femme de trente ans. Ou il n'est pas amou- reux — et c'est, en somme, le cas de René Auberive — et, dès lors, je conçois très bien qu'une circonstance aussi fortuite, une fatalité aussi extérieure qu'un courant intellectuel, ruine sa fantaisie ; — ou il aime, il aime absolument, avec tout son être, et alors, pour le déprendre avant la possession, avant la satisfaction des sens, avant l'accomplissement des vœux sourds
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