720 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
avec l'aide d'une technique compétente le plus grand génie peut donner à ses créations le pouvoir de vivre et de respirer sur la scène ". Et encore : " C'est en obéissant aux conditions fonda- mentales de son art, non en les ignorant, que le dramaturge peut espérer élever son auditoire au plus haut niveau intellectuel qu'il soit lui-même capable d'atteindre". Voilà de saines et puissantes vérités. Elles imprégnaient, plus ou moins obscurément, l'esprit d'un Sophocle, d'un Racine, d'un Molière, d'un Ibsen et — j'en suis convaincu — d'un Shakespeare. Et les plus forts principes sur lesquels nous puissions, aujourd'hui encore, nous appuj^er, se trouvent formulés, avec une rectitude émouvante, dans les trois Discours sur le Poème Dramatique de Corneille.
Pour ma part, toutes les fois que j'eus à juger quelque spéci- men de la production théâtrale courante, une chose surtout m'a frappé : à quel point des auteurs, qui recherchent le succès, et qui font profession d'honorer par dessus tout le métier, sont ignorants, en réalité, des rudiments de ce métier ; combien leur technique est courte, indigente et paresseuse ; combien leur fait défaut la science, ou tout simplement l'habileté. La plus bles- sante impression que nous procurent ordinairement les œuvres de ce temps, c'est l'impression du manqué, du bâclé, du gâché. Car nos dramaturges ne manquent pas toujours d'idées, ni d'une certaine virtuosité de facture qui donne le change. Mais ils ne prennent même par le temps de reconnaître leurs sujets ; ils ne se soucient pas d'explorer, de défricher leurs conceptions, de les élargir en les façonnant, de les rendre habitables par la vie. Ils ignorent la réflexion, la connaissance graduelle, la len- teur et la patience, et cet obstiné courage, cette abnégation qui seule conduit à la maîtrise... On est heureux d'entendre M. Archer s'écrier : " Dans le vocabulaire du dramaturge vraiment ingénieux, le mot impossible n'existe pas ". Cette petite phrase restitue toute sa dignité au plus décrié des genres litté- raires ; elle lui ouvre tous les horizons. Certes, le don de voir et de représenter dramatiquement l'existence humaine ne saurait être
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