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Page:NRF 8.djvu/854

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846 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Mon père reparti, je me jetai dans un salon plein de lumières, et j'en ouvris les volets pour voir des passants, pour voir la vie, pour secouer l'obsession de la mort qui venait de poser sa main décharnée sur mon front. Mais à chacun de ceux qui flânaient, je me disais : celui-là aussi succombera, et sera englouti au fond d'une fosse, et se décomposera, et pourrira lentement, salement ! Je voyais descendre sur tous l'ombre de la mort et de l'immobilité.

Au dîner, je m'étonnai que mon père et ma mère pussent causer. Quelques années, pcnsais-je, quelques mois, et si l'on n'a soin de la soutenir d'un ruban, un affreux bâillement leur ouvrira la bouche, — mais pour parler, macache ! La trivialité militaire de mes idées, — quel homme peut évoquer la mort sans grossièreté, sans rudesse? — n'atténuait pas le chagrin que je me forgeais déjà de la disparition inévitable et prochaine de mes parents. Et j'avais au cœur l'envie de pleurer d'un tout petit garçon.

Puis vint la funèbre veillée. Auprès du défunt, se tenait son valet de chambre ainsi qu'une autre religieuse. Son visage, en deux heures, avait changé singulièrement. Hé quoi, la mort, aussi vite, bouleverse les corps qu'elle s'approprie ! Quel mouvement intérieur en tire les yeux, en crispe la bouche, en rapetisse tous les traits ? O, l'im- monde travail qui bouillonne, dès le dernier soupir, en cette chair morte !

Il fallait passer une nuit complète à côté du cadavre. Je pris un livre de prières et commençai de compter les secondes, les minutes et les heures. Je regardai longuement le domestique, dont l'attention hypocrite ne se détachait pas d'une pieuse lecture ; je regardai la nonne orant à toute vitesse ; j'examinai la chambre où j'avais joué de si

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