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SEPT HOMMES 857

— Le directeur ne s'en occupe pas. C'est moi qui décide de ces questions-là.

— Eh bien, je désire faire éditer, à mes frais, un volume de vers.

Le malheureux, en cinq années, avait économisé six cents francs 1

— Monsieur, je suis aux regrets. Mais le Parnasse n'édite que des auteurs connus.

— Tant mieux, hurle Lusin, car je gagne beaucoup, moi, à être connu !

Pauvre diable, qui faisait des mots superbes à l'intention d'un sale petit juif, ignare et crapuleux ! L'autre ne lui répondit même pas, s'étant remis à taper sur sa machine à écrire.

Mais six mois après la mort de Lusin, un vol de noirs messieurs s'abattit sur sa mère, et gémit, piailla, croassa, jusqu'à ce qu'on lui eût livré les papiers du défunt. Et la macabre bande du Parnasse Français^ à grand bruit publia son œuvre, escortée de préfaces vengeresses, de biographies pleurnichardes, prônée par une réclame impudente qui lui valut un succès démesuré ! Qui d'entre vous ne s'est apitoyé sur le sort de Paul Lusin, poète, dramaturge, romancier, philosophe... mort pauvre et si jeune ? Canailles! Vampires !

Je demeurai seul. Et faute de pouvoir jamais amorcer mes combinaisons financières, je me suis trouvé, à quarante ans, vieux, abandonné, ne croyant plus en moi-même, foutu ! J'ai pu obtenir un emploi dans une banque, et je ne le lâcherai pas, croyez-le, car je veux vivre, je le veux. Il me reste une joie, une joie immense sur terre.

Oui, je me plains sans sincérité de l'obsession qui me

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