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Page:NRF 8.djvu/870

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862 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

famille palpite souvent dans les notes qui s'égrènent du fond de quelque salon. La maman de la jeune fille devait jouer ces valses il y a vingt ans. De qui tenait-elle ce vieil album ? Quelles mains, jointes à présent pour toujours, eçi ont, pour la première fois, joué les jolies danses. O, la gracieuse chose qu'une valse de Schubert ! Valses senti- mentales^ valses nobles j grande valse aux belles Viennoises... Dans ces rapides trois-quatre, j'entends le rhythme de la société douce et modeste du début de l'autre siècle, je découvre la symphonie de l'honnête danse de salon. Ces ritournelles évoquent pour moi des personnages fins et discrets, avec le visage de M. de Chateaubriand, des meubles d'acajou, carrés et simples, des petites filles en longues culottes, des contes de Nodier, et des robes blanches, décentes, fraîches, qui tournent rapidement... Dans cette vive musique, je vois bien des choses, allez, bizarres, hété- roclites, mais je les vois.

...La petite fille se lève et embrasse sa maman. Ils mangent un rôti de boeuf.

Hier je voulais analyser les sentiments auxquels j'obéis, en me collant le front aux vitres, en surplombant la vie de mes voisins. Je prétendais découvrir l'origine, la cause de cette manie. Mais qui sait ce qui se passe en soi ? Notre plus grand orgueil est vis-à-vis de nous-mêmes, et nous nous raidissons, nous nous débattons, nous hurlons, quand notre âme commence à se deviner.

...Ils s'arrêtent de manger. Leurs yeux convergent vers l'oncle qui raconte une histoire. Il fait bien nuit, mainte- nant. Je puis me risquer à ouvrir ma fenêtre. Je m'assiérai par terre, et, en mangeant la galantine que j'ai apportée pour souper, j'écouterai ce qu'ils disent...

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