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978 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

jusqu'à être blessée. — Au contraire les person- nages de Dostoïevski ont d'emblée cette profon- deur dernière. Ils ont tout de l'homme, mais aussi ce que l'homme a de Dieu. Ils commencent par vivre, ils sont eux-mêmes d'abord, et avec quel emportement, avec quelle partialité ! Ils cèdent, sans avoir même l'idée de réagir, au torrent de leur individualité ; ils brisent toute résistance ; ils font tout le mal qu'ils ont à faire. Mais enfin ils gagnent le fond ; ils retrouvent en eux Celui qui de même est en tous. Voici l'un d'entre eux devant nous, avec ses mauvaises pensées, ses men- songes, ses calculs. Il est prêt à nous tromper, peut-être à nous tuer. Pourtant il y a quelque chose en lui de plus que ses sentiments : c'est cette faible image de Dieu qui ne se décide pas à disparaître ; comme la lampe du sanctuaire, aucune rafale ne l'éteint tout à fait ; elle baisse, elle vacille, comme honteuse ; mais elle palpite encore. Elle est en cet homme comme une excuse latente à tout ce qu'il va faire et comme l'amorce du pardon. Il peut être sauvé. La vie éternelle le guette, comme elle nous guette tous. Et au moment, tout à l'heure, où il va se précipiter, il y aura autre chose ici qu'un aven- turier cédant à une soudaine passion : une âme, comme la nôtre, qui engagera son salut, et peut- être sans le perdre encore. — Ce n'est pas tout : non seulement cet être vit d'une vie si complète qu'il nous oblige à trembler pour lui, mais encore lui-

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