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Page:Nadar - Quand j'étais photographe, 1900.djvu/130

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Cependant, nous roulons toujours et la voûte, dont la sueur glacée tombe gouttes à gouttes plus fréquentes, s’écrase sur nous de plus en plus et les parois serrées se resserrent encore. Par instants, nous devons — avisés par le cri de nos conducteurs — courber nos têtes, surtout sous les gros étançons transversaux dont le fer visqueux et mangé pleure des larmes de rouille. Les hautes bottes de nos coureurs clapotent dans le liquide affreux, sur les trottoirs submergés. Le chemin descend, descend encore : l’inondation monte : et ils enfoncent au-dessus des genoux, jusqu’à la ceinture tout à l’heure, courant toujours, et tout autour de nous ruisselle, flaque, découle, dégoutte, suinte. Le lieu est devenu tout à fait sinistre : par les miasmes épais qui flottent, nos lampes pâlissantes semblent défaillir, prêtes à s’éteindre. Au malaise succède le frisson, au frisson tout à l’heure l’angoisse : nous sommes à une des croix les plus lugubres de l’hypogée, dans les vieux égouts, là où nul improfessionnel, il y a soixante ans à peine, n’eût osé pénétrer. Ce n’est autour de nous qu’évents, goulottes, pilotis, siphons, gargouilles, un enchevétrement difforme de sentines et boyaux à défier l’imagination de Piranèse :

C’est le noir rendez-vous de l’immense néant…