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Page:Nadar - Quand j'étais photographe, 1900.djvu/256

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formule parmi les textes, des jeunes hommes en essaim, quelques-uns adolescents à peine. Leurs clairs visages sont illuminés de la noble passion curieuse. De cabinets latéraux en tambours contre les parois, alvéoles de la ruche, d’autres jeunes sortent, vont, viennent. Et tous ces regards, tous ces pas convergent au centre, en appel vers l’impeccable chef de l’orchestre silencieux, le maître aimé, encore presque comme eux jeune.

Mais — aspect inoubliable — avant tout, sur tout, m’apparaît, comme nimbée d’une auréole dans le halo particulier qui la suit, et trottinant muette sans troubler ni déranger rien par cette jeunesse qui la révère, — une femme qui a déjà compté avec l’âge mais preste et ayant l’œil à tout, discrète, comme exiguë dans sa solennité, le vêtement resté fidèle à la simplicité du terroir natal : je m’incline devant la créatrice naïve et réelle, inconsciente et vénérée, de tout ce qui se fait là, — la Mère du Maître.

Et hier encore, au bout de ces quelque trente ans, les derniers en amont, qui lui font ses quatre-vingt-dix ans sonnés, j’avais hier la douce émotion de la retrouver même, couvant toujours le fils tant grandi, alerte telle qu’alors, comme éternelle par le bienfait de quelque grâce méritée, lisant sa gazette sans aider ses yeux, indifférente devant l’horloge qui lui compta tant de longues heures et qui reste encore notre débitrice…