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D’ISLANDE A LA COTE ORIENTALE DU GRÖNLAND. — ESPOIR DÉÇU.

nord-est avec une fraîche brise d’est ; néanmoins, le matin, la côte était encore en vue, le navire avait été refoulé par le flot. Pendant quelque temps le Jason louvoya le long de l’iskant, sans gagner beaucoup : le vent et le courant arrêtaient sa marche. Dans ces parages, nombreux étaient les cétacés ; surtout des balénoptères de Sibbald qui se dirigent dans l’ouest et qui émigrent, suivant toute vraisemblance, vers le Grönland. Ces gros animaux accomplissent très certainement des migrations, mais sur ce point nous ne savons rien ou du moins très peu de chose. Nous vîmes également des baleines d’une autre espèce, de taille plus petite ; d’après les marins, elles se tiennent dans le voisinage des points où l’on chasse le stemmatope mitré. Ce sont probablement des Balænoptera borealis.

Nous aperçûmes également des orques (Orca gladiator), facilement reconnaissables de loin. Ces vigoureux nageurs, armés de puissantes mâchoires, sont les ennemis redoutés des baleines. Un seul de ces épaulards suffit à mettre en fuite une troupe de ces gros cétacés. Les orques, lorsqu’elles attaquent les baleines, ne manquent jamais de leur enlever de larges morceaux de chair. Ces animaux poursuivent également les phoques. Les Eskimos m’ont raconté avoir vu des épaulards avaler d’un seul coup un de ces amphibies.

Sur les côtes de Norvège l’épaulard, particulièrement abondant dans les eaux fréquentées par les harengs, paraît plus pacifique ; dans cette région il ne se nourrit, croit-on, que de harengs et de morue noire (Gadus carbonariux). Dans ces parages il n’attaque pas la baleine, et ce gros mammifère ne semble pas non plus le fuir. Ayant à discrétion du poisson, peut-être l’orque ne se soucie-t-elle pas du lard de cétacé ; peut-être aussi n’a-t-elle pas l’habitude d’attaquer les espèces de baleines qui accompagnent les bancs de harengs, le Balænoptera musculus et le Balænoptera rostrata ; ces cétacés sont, d’autre part, beaucoup plus agiles et beaucoup plus forts que le balénoptère de Sibbald et le Megaptera boops.

Çà et là nagent des phoques, ailleurs nous en voyons couchés sur les glaçons épars. Cette rencontre en mer indique que des troupes nombreuses de ces amphibies doivent se trouver plus avant sur la banquise, malheureusement le temps est bouché et d’autre part nous avons hâte de rejoindre les autres bâtiments.