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à travers le grönland.

à l’eau, on les charge, et bientôt nous voici parés. Avant de quitter le glaçon qui nous a conduits ici et qui sera probablement notre dernier radeau de glace, je monte sur le point le plus élevé pour reconnaître notre route. Un changement extraordinaire s’est produit dans la banquise ; toute la masse de glace a dérivé pendant la nuit vers le sud-est. De ce côté, à perte de vue, de la glace, et au-dessus un ciel tout blanc. Dans le sud, du côté de la côte, non loin de nous, la mer semble complètement ouverte ; plus au nord ce chenal est barré par une nappe de drifis. Nous nous trouvons maintenant sur la lisière occidentale de la banquise, vers l’est elle s’étend à perle de vue. Quel étrange changement depuis hier ! Dans quelques heures nous débarquerons, et hier soir aucun de nous ne pouvait espérer pareille chance.

Les canots avancent rapidement. Partout se trouvent des canaux assez larges pour qu’on puisse y ramer ; en quelques endroits seulement il est nécessaire de se frayer un passage à travers la glace.

Après quelques heures de travail, les dernières glaces sont dépassées. Non, jamais je ne pourrai trouver une expression assez vive pour dépeindre notre enthousiasme à ce moment. Nous éprouvons la même impression que ressent le prisonnier à sa sortie de prison ; maintenant l’avenir s’ouvre plein de promesses devant nous. Nous sommes heureux. Peut-on en effet être plus satisfait que le jour où l’on voit la possibilité de mettre à exécution un projet longtemps caressé ?


halage des canots à travers la banquise. (dessin d’a. bloch, d’après un croquis de m. nansen.)