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toujours en dérive.

rant de la journée, la glace s’était ouverte près de l’iskant alors que, suivant toute prévision, la houle aurait dû la maintenir en masses compactes. La dislocation n’avait cependant pas été assez grande pour que nous ayons pu mettre les embarcations à l’eau surtout avec la grosse mer. Le soir, pendant que nous faisions notre promenade habituelle avant d’aller nous coucher, nous remarquâmes un nouveau mouvement de dislocation dans les glaçons. La houle semblait ouvrir la banquise du côté de la pleine mer, ce qui nous parut extraordinaire. Nous étions alors fatigués et n’avions nulle envie de nous mettre au travail ; nous pensions, du reste, atteindre bientôt la pleine mer et dériver ensuite vers le sud sur notre radeau de glace. Nous allâmes nous coucher après avoir donné ordre à la vigie de nous réveiller au cas où la banquise s’ouvrirait davantage. Dans la nuit le brouillard épaissit, et masqua toute vue.

Sverdrup faisait le quart dans la matinée, lorsque tout à coup il entend le bruit du ressac dans la direction de la terre, c’est-à-dire à l’ouest : jusque-là nous l’avions toujours entendu dans l’est, c’est-à-dire du côté de l’iskant. Il consulte la boussole, le grondement vient bien en effet de l’ouest. Le compas est donc faux ou bien il est victime d’une illusion des sens. Quelques heures après, Sverdrup put reconnaître la justesse de ses observations : le bruit provenait bien du battement de la lame contre le rivage et non contre la banquise, ainsi qu’il était permis de le penser au milieu du brouillard. Le matin je paressai quelque temps dans mon sac de couchage. Ravna était alors en vigie ; comme d’habitude il avait fait un quart de quatre heures au lieu de deux. Je m’amusai à le voir passer sa petite tête par la porte de la tente, pour demander si son temps de garde était terminé et s’il pouvait réveiller Kristiansen qui devait prendre le quart après lui. Sa physionomie exprimait un sentiment de vague inquiétude qui me frappa. Je lui demandai alors s’il apercevait la côte. « Oui, me répondit-il, elle est tout près. — Et la glace, ajoutai-je, est-elle ouverte ? — Oui », me répondit-il. Du coup je saute hors de la tente. Oui, en vérité, nous sommes tout près de la côte ; la banquise est clairsemée, et près de la côte s’étend un chenal d’eau libre. Je réveille tout le monde ; à la hâte on s’habille, on prépare le déjeuner, on met les embarcations