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au nord le long de la côte orientale.

longtemps que nous travaillons et depuis notre festin de la veille nous n’avons pas mangé. Quelques-uns d’entre nous ont une telle envie de dormir qu’ils peuvent à peine tenir les yeux ouverts. Dans notre désir de pousser en avant et dans le premier mouvement de joie que nous procure notre nouvelle existence, nous avons oublié les besoins de notre pauvre corps ; et maintenant il se rappelle à notre souvenir.

Nous faisons halte sur un glaçon pour nous reposer et prendre un léger déjeuner. Avec quel appétit nous mangeons ! Volontiers nous nous arrêterions quelques heures. Mais ce n’est pas le moment de perdre du temps, nous le sentons tous. La lueur de l’aurore grandit, le ciel rougit au nord-est, et le soleil se lève éclatant derrière la banquise blanche. Cette belle lumière fait disparaître toute fatigue. Au travail !

La glace est de plus en plus épaisse, et pas à pas nous avançons vers le nord. Souvent la situation est tout à fait critique, mais il faut marcher en avant quand même, et nous marchons en avant. Nous doublons le cap Rantzau, le Karra akungnak, mentionné dans le voyage de Holm et de Garde, puis atteignons le cap Adelaer. Là la glace devient très mauvaise ; de grands glaçons épais forment un pack. Avec nos gaffes nous essayons de les séparer ; peine perdue ! De toutes nos forces nous poussons encore une fois ; une fente large de quelques centimètres s’ouvre, cela donne du courage. Nous recommençons la même manœuvre ; les glaçons s’écartent davantage. Bientôt ils sont assez séparés pour livrer passage aux canots après qu’on a abattu les langues de glace proéminentes. Un peu plus loin, même exercice. Toutes nos forces réunies sont nécessaires pour nous frayer un passage. Ce n’est certes pas une manœuvre facile de faire passer les embarcations au milieu d’une pareille glace. Tout d’abord il est nécessaire de reconnaître le côté par lequel il faut attaquer les glaçons ; puis il faut choisir le point où toutes les forces doivent être appliquées ; ensuite, lorsqu’on a séparé les blocs, il faut haler immédiatement les embarcations avant que les glaces se rapprochent. Si les canots étaient pris entre elles, ils seraient infailliblement broyés. Plusieurs fois celui de Sverdrup, qui venait en dernier, fut serré entre les blocs. Ses bordages craquèrent ; heu-