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à travers le grönland.

reusement le bois était élastique, et le bateau sortit sans dommage de ces mauvaises passes.

Après avoir doublé le cap Adelaer, à travers une glace épaisse, nous nous dirigeons vers un promontoire auquel j’ai donné le nom du lieutenant Garde. Nous débarquons sur ce point à midi pour prendre un peu de repos et de nourriture. Voilà près de vingt-quatre heures que nous naviguons au milieu de la glace ; nous avons donc bien gagné quelques heures de sommeil. Nous tirons au sec les embarcations, dressons la tente et commençons les préparatifs du dîner, lorsque se produit un événement absolument inattendu.

Mon journal rapporte cet incident en ces termes :

« Hier, vers onze heures du matin, après avoir travaillé pendant de longues heures à nous frayer un chemin au milieu des glaces, nous avons abordé sur la face nord de Kara akungnak pour dîner et dormir ensuite quelque temps. Nous nous trouvions tout près du glacier de Puisortok ; dans la journée nous pensions pouvoir le doubler. Pendant que nous préparions notre maigre repas, j’entendis à travers le piaillement des mouettes un autre cri ; on eût dit une voix humaine. De suite j’attire l’attention de mes camarades sur ce bruit ; suivant toute vraisemblance le pays n’est pas habité, et nous attribuons ces cris à des Colymbus, qui peut-être n’existent pas plus dans le pays que des êtres humains. À tout hasard, nous répondons. Mais voici que les cris se rapprochent ; au moment où nous finissons de dîner, nous en entendons un si distinct et si rapproché que tous nous nous levons. Ce ne peut être des colymbus. Balto court aussitôt avec la lunette sur un rocher et annonce bientôt qu’il aperçoit quelque chose comme deux hommes ; immédiatement je vais le rejoindre, et, à mon tour, je distingue deux taches noires en mouvement au milieu des glaçons, tantôt séparées, tantôt l’une près de l’autre. Elles semblent chercher un passage à travers la banquise ; tantôt elles marchent en avant, tantôt elles reculent. Un instant après, elles se dirigent de notre côté, en agitant des rames. Ce sont deux hommes en kayak. Ils approchent, et Balto commence à faire grise mine ; il a peur, dit-il, de ces êtres étranges. Maintenant les voilà tout près ; l’un d’eux s’incline comme pour nous saluer (ce qui n’est certes pas son intention), l’autre ne