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a travers le grönland.

boréale. Les Eskimos expliquent ce beau phénomène par une fort jolie légende. Ils racontent que ce sont les âmes des enfants morts qui jouent là-haut à la balle.

Nous campons sur la côte ouest de l’île Kekartsarsuak. Tout à coup, apres avoir dressé la tente, nous entendons dans la direction du sud un formidable roulement de tonnerre ; en même temps la terre semble tressaillir. En toute hâte nous escaladons le monticule le plus voisin pour voir ce qui arrive, mais nous ne découvrons rien. Le bruit dura environ dix minutes. On eut dit qu’une montagne s’était écroulée dans la mer ; la surface du fjord fut soulevée par des vagues énormes qui balayèrent les rives jusqu’à une grande hauteur. Un isberg avait probablement basculé à une certaine distance au sud, peut-être aussi un éboulement s’était-il produit. Sur plusieurs points de la côte nous vîmes des traces d’avalanches considérables de pierres.

Le 8 août, la mer est libre et le temps magnifique. Nous essayons de passer entre les îles Igdloluarsuk et le continent, puis d’atteindre l’entrée du Kangerdlugsuak (fjord de Bernsloff) ; à l’embouchure de cette baie nous nous heurtons à une banquise impénétrable. Nous gravissons alors la pointe extrême de l’île Sagliarusek pour reconnaître la situation. Il n’y a plus aucun doute à conserver : le passage est absolument fermé. Nous devons revenir en arrière et naviguer au large de l’île. Sur la côte sud de cette terre, au fond d’une anse, se trouvent plusieurs pierres dressées au milieu d’une des plus belles pelouses que nous ayons vues jusqu’ici au Grönland. Ce joli petit coin est égayé par la présence d’un lac où s’ébattent des poissons, dont il nous fut, à notre grand regret, impossible de déterminer l’espèce. Il y a en outre, sur ce point, des ruines d’habitations indigènes, une notamment de grandes dimensions, devant laquelle sont éparpillés des débris de squelettes humains. Au milieu de ces ossements je découvre un fort beau crâne, que j’emporte. Suivant toute vraisemblance, là également la famine a décimé la population. Séduits par l’aspect de cette verdure, nous faisons halte dans ce lieu de délices, y dînons et paressons ensuite quelque temps dans l’herbe sous les doux rayons du soleil. Les Eskimos avaient agi en gens fort intelligents en choisissant celle localité pour s’y établir ;