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a travers le grönland.

sous une masse blanche. Avant de partir il est nécessaire de débarrasser les patins de la couche de glace et de névé agglomérés autour du fer. Après cela on attache les traîneaux, on hisse les voiles, travail particulièrement pénible avec ce froid, et en route ! Toute la journée on piétine dans la neige. Le soir venu, pendant ces jours de tempête ce n’est pas une petite affaire de dresser la tente. Pour attacher la toile du plancher aux parois de la tente, il faut travailler sans gants, et pendant ce temps gare aux morsures de la gelée !

Un soir, tandis que j’étais occupé à cette besogne, tout à coup mes doigts deviennent blancs et insensibles. Ils sont durs comme du bois. En frappant les mains l’une contre l’autre et en les frottant avec de la neige, je réussis à rétablir la circulation.

Le 28 Kristiansen eut la mauvaise chance de se luxer la jambe. Pendant plusieurs jours il ne put marcher que très difficilement ; des massages répétés lui rendirent heureusement bientôt l’usage du membre malade. C’était un spectacle curieux que de voir notre malade assis sur la neige, la jambe nue par un froid terrible, se soumettre aux frictions. Le même jour les Lapons se plaignirent d’ophtalmies ; pendant tout le voyage eux seuls souffrirent de la réverbération de la neige. Il est assez curieux que ç’aient été précisément les personnes de la caravane les plus habituées à l’éclat des neiges qui aient eu à en souffrir. Comme remède j’employai une dissolution de cocaïne ; grâce à l’usage constant de conserves et de voiles rouges, cette indisposition n’eut aucune suite. La plupart d’entre nous avaient la figure brûlée par la réverbération, et perdaient l’épiderme sur les parties saillantes du visage. Kristiansen eut surtout à souffrir de coups de soleil ; ses joues, couvertes de crevasses, suppuraient ; il semblait avoir une grave maladie de peau. À partir de ce moment nous employâmes toujours des voiles ; grâce à cette précaution nous n’eûmes plus à souffrir des effets du soleil.

Curieux spectacle que de nous voir avancer en file indienne, tous couverts de voiles rouges, au milieu de l’immense plaine de neige. Cela nous rappelait les Longchamp du printemps, les élégants équipages de ces fêtes et leurs ornements naturels, les élégantes aux yeux qui font rêver les amoureux. Aujourd’hui tout autre est la scène :