Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Toute la matinée je réfléchis à la situation. Les cartes furent examinées soigneusement, toutes les éventualités envisagées ; finalement je décidai de prendre la direction de Godthaab. Je supposais bien que de ce côté nous trouverions, à la descente, des glaciers très accidentés, mais je pensais que nous pourrions passer entre les bras de l’inlandsis. Le point que je choisis alors pour l’atterrissement fut précisément celui où nous arrivâmes quelques semaines plus tard. Lorsque j’annonçai à mes camarades ma résolution de nous diriger vers Godthaab, elle fut approuvée à l’unanimité : nous commencions à être fatigués de l’inlandsis et tous nous rêvions de régions moins inhospitalières.

Les voiles sont hissées sur les traîneaux, et vers trois heures de l’après-midi nous partons. Nous ne pouvons réussir à gagner dans le vent ; tout au plus parvenons-nous à nous maintenir au plus près, quelquefois même à un quart en dessous. Le vent, soufflant du nord-ouest, nous oblige à nous diriger vers un point situé un peu au sud de Godthaab. Il vaut mieux avancer ainsi que de haler les traîneaux. En quelques heures nous réussissons à parcourir plus de 11 kilomètres. Tout en marchant je songe au moyen d’atteindre Godthaab. D’après la carte, depuis l’inlandsis jusqu’à Narsak, hameau situé sur la côte méridionale de l’embouchure de l’Ameralikfjord au sud de Godthaab, s’étend une région très accidentée, hérissée de montagnes et déchirée de vallées. Il sera peut-être difficile de traverser ce massif, je songeai alors à gagner la colonie par mer. Avec nos deux prélarts, le morceau de toile à voile servant de plancher dans la tente, nous pourrons construire une embarcation, d’autant plus facilement que le bois ne nous manque pas. Les bâtons et les ski serviraient à fabriquer des rames, et en nous mettant tous au travail, nous réussirions en peu de temps à faire un canot. Je communique mes projets à Sverdrup : après avoir réfléchi il les approuve. A partir de ce moment, pendant notre marche nous discutons souvent sur les moyens de construire un canot. Dans un désert comme celui que nous traversons, il est toujours bon d’avoir l’esprit occupé.

Les journées suivantes, tempête et chasse-neige. La nuit l’ouragan menace d’enlever notre tente, et le malin les traîneaux sont enfouis