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a travers le grönland.

occidental, écrivais-je dans mon journal, et probablement ce n’est pas la seule dans ces parages : nous devons donc être maintenant sur nos gardes. Nous n’avons plus envie de marcher ce soir à la voile, mais il est encore trop tôt pour camper, et d’autre part, puisque nous avons bon vent, il faut en profiter. Les voiles sont diminuées sur les deux traîneaux, puis je pars seul en éclaireur, laissant à Sverdrup le soin de diriger notre véhicule en lui recommandant de marcher à une certaine distance en arrière de moi. »

Le vent nous pousse rapidement en avant. Sans remuer les jambes, je glisse sur de grandes distances, poussé par la brise. Dans les régions mamelonnées, j’avance lentement en sondant le terrain avec le bâton, pour m’assurer que la neige fraîche ne masque pas quelque crevasse. Dès que j’ai reconnu l’existence de fentes, je fais signe aux autres de s’écarter, et cherche une route plus sûre. Malgré ces précautions, Sverdrup et Kristiansen faillirent être engloutis ; immédiatement après le passage de leur traîneau, la glace s’effondra dans une crevasse dont nous n’avions pu reconnaître l’existence, en dépit de notre attention.

Entre temps le vent devient plus violent, et à plusieurs reprises il est nécessaire de diminuer la voilure. Lorsque la faim commence à se faire sentir je donne à chaque homme deux biscuits à la viande et tout en mangeant nous poursuivons notre route.

L’obscurité arrive bientôt ; heureusement la lune se lève brillante ; malgré les flocons de neige qui tourbillonnent dans l’air, sa clarté est assez vive pour nous permettre de nous guider au milieu des crevasses. Un curieux spectacle que de voir derrière moi les deux masses noires des traîneaux glisser sur la plaine blanche, sous les rayons d’argent de cette belle lune !

Le glacier devient de plus en plus difficile ; en avant apparaissent de nombreuses et larges crevasses. Elles sont remplies de neige ; et leur traversée n’offre aucune difficulté.

Çà et là existent des trous béants, étroits heureusement, et que les traîneaux passent sans incident. Après cela je traverse une grande crevasse, puis j’en distingue une seconde de dimensions colossales. J’arrête mon élan, et m’avance avec précaution sur la glace vive en cet endroit. Le gouffre est immense. Au delà appa-