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a travers le grönland.

sont entassés sur les traîneaux et recouverts de prélarts. Après cela, en marche pour le bas de la vallée !

Au moment du départ, nous pouvons nous rendre compte de toute la force que Ravna a dans son petit corps. Pendant la traversée de l’inlandsis, son traîneau avait toujours été le plus léger de tous, et néanmoins il se plaignait toujours. Cela était trop pesant à tirer pour un vieillard comme lui, exclamait-il sans cesse, et il nous obligeait à de fréquentes haltes pour l’attendre. Aussi quel ne fut pas mon étonnement, au moment du départ, lorsque je vis Ravna prendre, outre la charge qui lui incombait, le sac renfermant ses effets ! J’essayai de le dissuader d’emporter tout ce bagage ; comme d’habitude il n’écouta aucune représentation : à aucun prix il ne voulait se séparer du sac renfermant son Ancien Testament. Cette lourde charge ne parut pas le gêner autrement, et pendant toute la durée de l’étape il marcha aussi vite que les autres. Il pensait sans doute qu’il était désormais inutile de ménager ses forces, et voulait nous montrer ce dont il était capable. Balto disait donc vrai lorsque à chaque instant il s’écriait en parlant de son camarade : « Ravna, ah ! c’est un solide gars ».

En certains endroits le terrain présente une pente très accusée, des monceaux de pierres éboulées et des marais. Avec les lourdes charges que nous avons sur le dos, la marche n’est naturellement pas très rapide. « Quel agréable parfum répand ici la terre, s’écrie Ravna à plusieurs reprises : cela sent comme sur les pâturages à rennes du Finmark. » Ravna a raison, les plantes et les mousses répandent dans l’air une douce senteur.

Dans la soirée nous arrivons à un lac très long, que nous avons appelé précisément, à cause de sa forme, le lac Long. Dans cette nappe d’eau débouche un glacier venant de l’ouest, probablement un bras de l’inlandsis qui contourne les montagnes situées derrière nous.

Nous traversons le lac sur la glace ; à plusieurs reprises celle-ci fléchit sous nos pas : il est prudent de se rabattre du côté de terre. Le soir nous installons le campement sur la rive orientale du lac. Pour la première fois depuis le commencement du voyage nous dormons sur une couche d’arbrisseaux et d’herbes. Avec quel plaisir nous nous y étendons en respirant l’air embaumé par les