Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/100

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— Il est loin d’y songer, mon ami, répliqua M. de Résort, j’ai visité moi-même ces écuries et ton frère ne dit que la stricte vérité. Un jour, j’y fus témoin d’un fait qui prouve non seulement l’intelligence, mais le raisonnement de ces énormes créatures. À l’une d’elles, son cornac avait expliqué qu’il fallait pomper de l’eau jusqu’à déborder dans une auge immense. Le cornac parti, voilà mon éléphant à l’œuvre : il pompait, pompait, et l’auge ne se remplissait pas ; il continua, même résultat. Alors il s’arrêta et considéra le récipient avec un air réfléchi et intelligent. Un officier et moi l’observions dans un coin, fort intéressés tous deux ; l’auge se vidait seulement à moitié, parce qu’elle ne se trouvait pas en équilibre. L’animal en fit le tour, s’agenouillant, palpant avec sa trompe en dehors, en dedans ! Il ne découvrait rien. Tout à coup nous le vîmes se mettre à vider l’auge, toujours avec sa trompe, aspirant l’eau qu’il rejetait à terre à mesure, et, quand il ne resta plus rien, il poussa un énorme pavé du côté où l’eau s’en allait d’abord, et en faisant encore une fois le tour, il s’assura que l’auge se trouvait d’aplomb. Alors il se remit à pomper avec ardeur jusqu’à ce que l’eau débordât également partout…

« Et puis il s’arrêta, l’air aussi satisfait qu’un éléphant peut l’avoir. Nous étions dans l’admiration ! Et en d’autres pays, au Bengale par exemple, c’est un spectacle bien curieux que celui des éléphants occupés à décharger un navire plein de grosses planches de diverses longueurs ou épaisseurs. Ils vont, viennent à bord, les-uns toujours par l’avant, les autres toujours par l’arrière ; ils se croisent et travaillent sans jamais se heurter ou se déranger. Les planches ont été déposées sur le pont et je te réponds que deux ou trois éléphants ne sont pas longs à transporter le tout à terre, — le navire est à quai bien entendu — et les habiles portefaix ne cassent et ne froissent même pas le plus petit objet sur le pont.

« Sur les quais, à la place marquée, les mêmes ouvriers, continuant le travail, disposent les planches par rang de taille, et sans mêler leur ouvrage respectif. Chacun a le sien. Enfin quand tout se trouve aligné, quelles magnifiques pyramides ! Si une planche fait la moindre saillie ou même dérange très légèrement l’harmonie du coup d’œil, voilà mon constructeur qui regarde, s’éloigne, réfléchit et recommence jusqu’à la perfection. Par exemple, l’heure du repas une fois sonnée, aucune puissance humaine n’obligerait l’éléphant à continuer un travail commencé ; au premier coup de cloche, il abandonnera tout comme cela se trouve. Tient-il un objet, l’objet est jeté à terre. Cette créature raisonnable et ordonnée entend que ses repas soient régulièrement servis ; elle reprendra l’ouvrage une heure