Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/101

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après seulement : inutile de retarder ou d’avancer le signal, l’éléphant n’est jamais dupe.

— Mais voilà la pendule qui, elle aussi, donne le signal, veux-tu bien aller te coucher ? s’écria Mme de Résort, en embrassant Paul.

— Oui, maman, bonne nuit ! Papa, bonne nuit ! Mais j’entendrai la fin de l’histoire des éléphants ; dis, Ferdinand, n’en parle pas sans moi.

— Convenu, Paul, je serai muet sur cet intéressant sujet jusqu’à demain soir. »

Le lendemain, supplié par son frère, Ferdinand raconta encore ce dont il avait été témoin à Ellora, la manière d’instruire les nouveaux arrivants, et ensuite une condamnation à mort.

« Les jeunes éléphants nouvellement achetés (on n’en veut pas d’adultes) sont enfermés dans de petits parcs clos par de très solides palissades, et là confiés à d’autres choisis parmi les plus intelligents. Ces derniers, deux par deux, se chargent d’un élève auquel ils enseignent ses devoirs quotidiens. L’élève est-il rebelle, ses précepteurs le serrent de près et lui appliquent en cadence, avec la leur, de grands coups sur la trompe. Continue-t-il à se révolter, les vieux l’empêchent de manger au repas suivant. Aucun jeune sujet ne résiste plus d’un mois à ce traitement ; cette période écoulée, il est à jamais soumis, prêt aussi à enseigner à d’autres, et de la même manière, le métier que ses devanciers lui ont appris.

« Ce séjour à Ellora, quel souvenir charmant pour nous autres jeunes aspirants, et quels récits ne fîmes-nous pas ensuite à bord, soit au sujet des temples et des ruines bouddhiques, soit en racontant les prouesses des éléphants ! et celles-ci, je l’avoue, m’avaient enthousiasmé autant que les antiquités ! Tu sais, Paul, il y a dix-huit mois, j’étais encore très jeune et je m’amusais comme un enfant à voir ces animaux extraordinaires. Durant les quatre jours que nous passâmes à Ellora, l’un d’eux me prit en grande amitié, à cause des friandises dont je le bourrais, disaient mes camarades ; moi, je suis sûr qu’il m’aimait réellement et qu’il a été la victime d’une erreur de la justice humaine, car jamais, sans de terribles provocations, Djin n’aurait prémédité et accompli un crime aussi abominable.

— Un crime, Dinand ? raconte vite, s’écria Paul, dont les yeux brillaient.

— J’y arrive. Nous quittâmes donc Ellora lorsque notre permission fut sur le point d’expirer, et le jour suivant l’Iéna saluait la rade anglaise. Ensuite notre première relâche fut Batavia, dont je te parlerai une autre fois, et là m’arriva une lettre de Ilarry Keith. Je vais en lire les passages ayant rapport à ce tragique événement.