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d’une voix dure et sèche : « Oui, non, je ne sais pas. » Enfin Charlot découragé garda le silence, tout en considérant Thomy habillé en matelot. Un assez joli garçon maintenant, avec de très beaux yeux dont l’expression déplaisait ; surmontés de sourcils très noirs et bien dessinés, ces yeux ne vous regardaient jamais en face. Les lèvres étaient trop épaisses, les dents superbes et la taille bien prise. « Il n’est pas devenu vilain, pensait Charlot, mais tout de même y me plaît pas plus qu’autrefois. »

M. de Résort avait obtenu à grand’peine une permission de quarante-huit heures pour ce jeune matelot constamment puni et qui le jour même sortait de prison…

« Je ne voudrais pas refuser ce que vous me demandez, mais vraiment, mon cher commandant, si vous vous intéressez à cet homme, vous devriez lui persuader de faire peau neuve, sinon il ne finira pas son temps sans commettre quelque faute très grave. Cependant il est intelligent, et, s’il voulait bien se conduire, il obtiendrait promptement ses premiers galons. »

Ainsi s’exprimait au sujet de Thomy le commandant de la division de Cherbourg.

Enfin, la permission obtenue et les formalités nécessaires remplies, le matelot fut envoyé à l’hôtel, où l’attendaient M. de Résort et son fils. Ces deux derniers eurent alors quelque raison d’être désagréablement surpris.

Dès qu’il l’aperçut, Ferdinand s’avança vers Thomy, l’air riant, la main tendue en s’écriant :

« Bonjour, Thomy, je suis bien content de vous revoir, réellement bien content, et de vous retrouver sous cette vareuse. Thomy, voici mon père, le commandant de Résort, qui a obtenu quarante-huit heures de permission pour vous.

— Bonjour, commandant, bonjour, monsieur Ferdinand, vous êtes réellement trop bons de vous intéresser à un simple matelot. Mais puis-je savoir d’où me vient cet honneur que je n’ai point réclamé ? » Le ton démentait les paroles et Thomy n’avait pas serré la main tendue si franchement.

« Hem, dit M. de Résort, les sourcils froncés, hem !… Oui, vous pouvez le savoir. Notre ami Thomas Fontaine va mourir, il nous a priés de vous amener vers lui ; alors mon fils et moi nous sommes empressés de satisfaire au désir du digne homme ; nous avons éprouvé quelque difficulté à vous obtenir une permission ; pourquoi ? vous vous en doutez peut-être. Ferdinand, ordonne à Charlot d’atteler pendant que nous goûterons, car nous dînerons fort tard, suivant toute probabilité. Mangez aussi quelque chose, Thomy.