Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

« Bonjour, commandant, vous allez bien ?

— Merci, très bien ; pourquoi m’avez-vous fait réveiller ?

— Parce que je ne voulais pas dépasser les perroquets sans votre approbation ; vous avez sans doute consulté le baromètre ? Lorsque la mer sera faite, ce soir ou dans la nuit, nous attraperons un de ces coups de tabac !…

— Bon, Langelle, je ne savais pas que la toile vous effrayât à ce point-là… Vous êtes prudent, mon ami. »

Ainsi taxé, Langelle ne répondit pas ; cependant il pâlit et se mordit les lèvres, afin de n’en point laisser sortir de paroles regrettables, et puis il aperçut des hommes souriant parce qu’ils avaient écouté ; mais le lieutenant connaissait un moyen de se venger : ce moyen consistait à regarder Le Toullec au travers de son lorgnon ! Cela exaspérait le brave homme, qui, ne croyant pas à la myopie de Langelle, la traitait d’impertinence, myopie très vraie malgré tout et souvent bien gênante pour un officier de marine.

Les nerfs très excités, Langelle descendit au carré ; là il essaya, on l’a vu, de glisser un avis ; cet avis donna à réfléchir ; cependant l’air grognon persista sur les physionomies et le déjeuner s’acheva en silence.

Un timonier entra bientôt, et s’adressant au second : « Lieutenant, dit-il, le commandant vient de faire dépasser les perroquets et on prend un ris.

— Très bien, » répondit Langelle, qui éclata de rire lorsque le matelot eut quitté le carré. Cette preuve de versatilité donnée par leur commandant eut le don de ramener la bonne humeur chez les officiers.

« L’un de vous aurait-il rencontré Stop ? demanda ensuite Langelle ; je ne l’ai pas encore aperçu.

— Tiens ! c’est vrai, s’écria un officier ; généralement l’animal n’entend pas vous laisser déjeuner sans lui.

— Je crois, dit un autre, que Résort l’a emmené au poste des aspirants, après l’avoir pansé et soigné. Ah ! vous ignorez le drame de la nuit dernière ? » continua l’enseigne, qui mit alors le lieutenant au courant du combat livré par son chien au matou du commandant. Après avoir réglé quelques affaires concernant le service, Langelle monta sur la passerelle, où il trouva le commandant occupé à distribuer des sottises à l’enseigne et aux gabiers de quart. Les ordres, mal transmis par le premier, disait-il, avaient été mal exécutés par les autres, et de là des chapelets d’injures… Le temps devenait horrible ; sur le pont, on commençait à circuler avec des filières, et plus de Caravane à l’horizon : ce qui acheva d’exaspérer le commandant.