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Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/148

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de-France et datant de la Restauration, les bagages du nègre se trouvaient contenus dans deux madras noués par les quatre bouts !

La dernière semaine, avant d’arriver en vue des côtes vertes du Gabon, calme plat durant la journée. Une petite brise, s’élevant au coucher du soleil jusqu’à son lever, permettait seule de faire un peu de route ; la chaleur devint accablante : 35 degrés centigrades, nuit et jour. Officiers et matelots étaient également énervés.

Enfin les rives apparurent, de plus en plus distinctes ; couvertes de leur splendide végétation, elles ressemblent à une longue muraille de verdure. Notre principale occupation est sur la côte nord, à quinze milles de l’estuaire. Après avoir mouillé, il fallut chercher un point de reconnaissance en canot, vers le sud, pour franchir ensuite la barre à l’entrée du Gabon et remonter le fleuve jusqu’aux villages habités par les Paugonés.

À cette époque de l’année, la barre reste constamment traversable pour les embarcations. Des nègres cependant vinrent le long du bord, montant de légères pirogues. On fit marché avec eux pour y guider et remorquer un canot de la Coquette, où prirent place un officier, un aspirant, huit matelots et massa Charlemagne ; celui-ci s’en allait l’oreille basse, ayant auparavant mis de côté toute sa grandeur et humilié tente sa dignité pour supplier « digne, excellent, admi’able commandant de le ga’dé’à bord ».

De nouveau escorté par la pirogue, le canot français regagna le navire à la tombée de la nuit. L’officier raconta ensuite au carré, comme l’aspirant au poste, qu’arrivé à son village, massa Charlemagne ne voulait pas débarquer ; il fallut le mettre à terre de force ; mais, aussitôt sur la rive, le nègre se sauva à toutes jambes, honteux probablement parce que ses mensonges allaient être dévoilés… Trop heureux d’en être débarrassé, l’enseigne avait donné l’ordre de reprendre le chemin de la corvette. Et oncques depuis lors personne n’entendit parler de massa Charlemagne.

Cependant la journée avait été mise à profit. Les commandants et les officiers s’étaient approvisionnés de vivres frais en grande quantité. Durant toute l’après-midi, les noirs assaillirent littéralement la corvette, leurs mains en l’air, agitant qui un oiseau, qui une chèvre ou des fruits, des bananes, des mangues, etc., jusqu’à des singes vivants.

« Achetez le nécessaire et au delà, dit Langelle au commissaire ; mais pas de cette engeance noire à bord. » Et il ajouta en s’adressant aux officiers : « En cela le commandant et moi, nous sommes parfaitement d’accord. »

Mais, après avoir consigné le navire à toute la peuplade qui grouillait autour et sans en avertir son second, le commandant Le Toullec