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Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/149

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permit à quelques maîtres de descendre le long du bord, afin de procéder aux achats et échanges ; puis il se laissa fléchir par les grimaces suppliantes de plusieurs noirs, et bientôt il leva la consigne. Attiré par le bruit à l’avant du bateau, quelle ne fut pas la stupéfaction du lieutenant de voir tous les hommes que leur service n’appelait pas ailleurs, maîtres et matelots, riant, criant et fraternisant avec une centaine de nègres et de négresses.

Étalés autour d’eux, pêle-mêle, des nattes, des singes, des fruits, des perroquets, des quartiers de chèvre !… Et un vacarme !

Langelle ne fit qu’un bond jusqu’à la dunette où il apercevait l’enseigne de quart, auquel il s’adressa pâle de colère, en disant : « Comment avez-vous osé laisser monter ces gens, monsieur, et malgré la défense formelle ? Vous…

— Mais, répondit l’officier en l’interrompant, ce n’est pas ma faute ; j’ai exécuté les ordres reçus à ce sujet, puisque le commandant a lui-même levé la consigne.

— Ah ! très bien, » répliqua le lieutenant, qui s’en alla frapper chez Le Toullec.

« Entrez ! » cria-t-on. Langelle entra, la porte se ferma, et personne n’entendit ce que se dirent les deux hommes. Mais, à cause d’un ordre à recevoir, pénétrant à son tour dans le salon du commandant, un officier trouva ce dernier rouge et tremblant à côté de Langelle livide à force d’être pâle.

Évidemment, des paroles blessantes avaient été échangées, qui rendirent ensuite plus désagréables les relations déjà fort tendues entre les deux commandants.

Au carré, le plus vieux fut sévèrement jugé, quoique Langelle eût refusé sèchement de s’expliquer au sujet de la scène précédente.

Devinant le blâme des officiers et le peu de sympathie qu’il leur inspirait, Le Toullec s’en vengeait par mille petites taquineries.

Au cours de la longue traversée entre le Gabon et le Brésil, la vie fut donc loin d’être agréable à bord. On avait bon vent, il est vrai… quand on en trouvait ; mais la brise refusait souvent. Les esprits s’aigrirent et quelques hommes souffrirent beaucoup du scorbut. La mauvaise humeur des officiers rejaillit sur l’équipage : décidément, les prévisions de M. de Résort se réalisaient de point en point.

Au poste cependant on gardait entrain et bonne humeur. Aussi Stop y passait-il presque tout son temps en compagnie de Pluton, qui avait absolument rompu avec son ancien maître, à cause d’une guenon achetée par celui-ci au Gabon.