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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

l’armée tout entière partageait la confiance de son chef ; sûre du succès, elle oubliait les fatigues endurées, Varna, la Dobroudja.

Retardées par leurs alliés, nos troupes ne se mirent en marche que le 19 septembre. Les escadres alors suivirent la côte pour protéger les têtes de colonne le cas échéant. Le terrain était sec et solide, à peine ondulé. On apercevait par instants quelques Cosaques en vedette. On passait près de maisons désertes, de cultures incendiées. Au midi, le petit fleuve Boulganaek presque à sec fut traversé sans peine. La berge gravie par des éclaireurs, ceux-ci signalèrent les tentes de l’armée russe à droite de l’Alma et sur les plateaux de collines escarpées. La nuit allait tomber, et, pour traverser la rivière assez profonde, il fallait attendre au lendemain, trouver des passages guéables aussi. On campa donc où l’on se trouvait, à droite de l’Alma.

Durant la nuit, placées au loin et abritées par un épaulement, les grand’gardes répètent les mots d’ordre ; il fait froid, calme et sombre, la lune est couchée, les étoiles invisibles. Mais les mille feux des bivouacs brillent à terre sur les deux rives du fleuve, et instantanément des centaines de fanaux s’allument en mer, s’agitent sur place, secoués par le ressac.

L’aube paraît, un coup de canon l’annonce à bord de la Ville de Paris ; à ce signal, des roulements de tambour partent de tous côtés. Les clairons sonnent la diane et les trompettes se répondent. Les feux s’éteignent, le camp est sur pied, les tentes pliées, et le premier déjeuner pris. En marche ! À l’assaut ! À la bataille ! À la victoire, dont pas un soldat ne doute.

Cependant là-haut sur le plateau on aperçoit des popes russes qui passent dans les rangs, la croix en tête ; l’atmosphère très calme laisse entendre jusqu’aux paroles d’une hymne religieuse.

L’arme au bras, la division Bosquet attend de huit à dix heures que l’armée anglaise soit prête.

Enfin les colonnes s’ébranlent. Bordant comme un fossé le terrain occupé par les Russes, et coulant de l’est à l’ouest jusqu’à la mer, l’Alma sépare les armées ennemies.

Le plan des alliés consiste à déborder les flancs des forces russes qu’on attaquera de front ensuite. Trois endroits et trois villages paraissent accessibles à gauche du fleuve : près de son embouchure, Almatanack ; plus haut, Bourliouk, et en amont, Tarkantar. À l’est, une haute montagne commande l’espace entre ces deux derniers points. Au bas de cette montagne un profond ravin, sur lequel est jeté un pont de bois : là passe la route de Simféropol à Eupatoria et c’est le point faible aux yeux du prince Menschikoff. Le commandant en chef de l’armée russe a concentré aux alentours ses plus grosses