Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/221

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pièces d’artillerie, ses meilleures troupes et aussi sa réserve, mais celle-ci en arrière. Il jugeait l’assaut impossible au-dessus de l’Almatanack, où la grande montagne devient une falaise à pic jusqu’à la mer ; en conséquence, il ne garnit ce plateau que faiblement. Toutes les troupes qu’il ne croyait pas indispensables à la défense de la route d’Eupatoria, le général russe les avait massées devant Tarkantar, un peu à l’est de la grande montagne : devant ce point et pour l’attaque, l’aile gauche de notre armée donnait la main à l’aile droite des Anglais ; au centre marchaient les troupes turques.

Sous les ordres du général Bouat, les premières brigades devaient traverser l’Alma à son embouchure. Mais avec leurs chevaux, cherchant le gué, deux hussards s’enlisèrent et faillirent périr. La brigade s’arrêta, une autre la rejoignit, bientôt suivie d’une division turque. Les généraux firent sonder plusieurs places : de la vase partout. Il fallait donc se décider à remonter la rive gauche du fleuve et peut-être ainsi perdre une heure.

À cet instant, une embarcation vint s’échouer sur le sable ; un officier en descendit pour courir au-devant des généraux et des officiers.

Et, sa casquette en main, le nouveau venu, s’adressant au général Bouat :

« Mon général, dit-il, nous avons exploré cet endroit hier, et reconnu un gué situé il une centaine de mètres. Pour l’indiquer et sur l’ordre de mon commandant, je me mets à votre disposition. Je n’ai pu arriver plus vite, parce qu’il a fallu demander l’autorisation à l’amiral Hamelin.

— Fort bien, monsieur, répondit le général Bouat. Quel est votre commandant, et vous-même comment vous nomme-t-on ?

M. de la Roncière le Noury commande le Roland, et moi, mon général, je m’appelle Ferdinand de Résort, enseigne de vaisseau.

— Eh bien, monsieur de Résort, vous avez une heureuse physionomie, et nous vous suivrons ; montrez-nous le chemin. »

Ferdinand, la veille à la tombée de la nuit, s’était aussi enlisé dans la vase en essayant de traverser la rivière pour rejoindre son embarcation, qui l’attendait de l’autre côté de l’Alma. Après avoir sondé le terrain en plusieurs endroits, il finit par trouver un gué dont, en rentrant à bord, il parla à son commandant, et ce dernier jugea que ce gué pourrait servir à l’armée.

En effet, là se trouvait le seul passage guéable avant une lieue. Précédées par Ferdinand, les troupes défilèrent lentement, mais en très bon ordre, l’infanterie d’abord, compagnie par compagnie, les chevaux par instants à la nage, et les piétons ayant de l’eau jusqu’à la