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Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/236

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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

Loukoul ; mais, avant d’arriver en vue de Sébastopol, retentirent de formidables détonations répétées par les échos. Alors en avant de l’estacade les avisos de tête aperçurent plusieurs vaisseaux russes qui sombraient au milieu d’un immense remous et dont bientôt le haut des mâts seul resta visible.

C’était donc pour s’assurer de l’état des choses que, par cette nuit sombre, l’amiral Hamelin envoyait de nouveau le Roland en reconnaissance.

Laissant sur bâbord la Katcha et une autre rivière, l’aviso s’en vint mouiller presque sous le fort Constantin, à l’abri d’un petit promontoire.

Une très légère transparence annonçait déjà l’approche du jour. Sur l’ordre du commandant, deux enseignes et six matelots prirent place dans une baleinière qui était suspendue le long du bord au moyen de palans. Silencieusement mise à l’eau, les poulies larguées, l’embarcation s’éloigna vivement.

Monté sur la dunette, le commandant essayait encore de suivre des yeux la baleinière déjà perdue au milieu de la brume.

Le jour arriva tel qu’on le désirait, terne et sans soleil. Et pour tous à bord, l’heure suivante parut interminable. Les feux restèrent allumés au fond des fourneaux, la machine prête à tourner.

À neuf heures, le commandant, toujours immobile, murmura en regardant sa montre : « J’ai eu tort d’envoyer Résort, il ne doute de rien, et les autres auront été ravis de le suivre au danger. »

M. de la Roncière avait reçu la défense d’exposer le Roland au tir du fort. Faudrait-il donc retourner au mouillage en abandonnant l’embarcation ?

À cet instant, le soleil perça la brume ; alors la vue s’étendit au loin sur la mer brillante et calme. Immédiatement un coup de canon partit des hauteurs voisines.

« Machine en avant, à toute vitesse, après avoir relevé l’ancre, » cria le commandant.

L’aviso s’élança hors de son abri. Du bord, en pleine lumière et au large, on apercevait une petite embarcation qu’une autre plus grande poursuivait et gagnait.

« Abattez sur tribord et au-devant de notre baleinière ! » cria de nouveau le commandant, n’hésitant pas à exposer son bateau aux feux du fort Constantin. Cependant il ne pouvait dépasser les ordres reçus jusqu’à mitrailler le canot russe, dont l’équipage n’avait sûrement point d’armes, puisqu’il ne tirait pas ; mais, s’il abordait la baleinière, on serait alors au moins vingt Russes contre huit Français.

Au moment où la grande embarcation allait atteindre la petite,