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Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/241

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et sur les batteries russes élevées au sommet des falaises. La Ville de Paris reçut trois boulets rouges dans sa coque et fut atteinte cent fois dans son gréement et au-dessus de sa ligne de flottaison ; sur la dunette, une bombe renversa l’amiral Hamelin et tua deux officiers. Le Charlemagne, criblé d’obus, eût sauté sans le courage d’un matelot qui se précipita au moment où un boulet allait atteindre une caisse de cartouches. Le Napoléon et bien d’autres souffrirent de ce feu terrible. Le nôtre endommagea gravement le fort Constantin. Les alliés avaient lancé trente mille projectiles et les Russes cent soixante mille.

Durant ces combats, Ferdinand était depuis la veille détaché aux batteries de marine dressées sur le fort Génois, à l’entrée de la baie de Stréletzka, presque à toucher Sébastopol.

Ces batteries ce trouvaient dans une détestable position et exposées, sans pouvoir lui faire grand mal, aux feux convergents de la place assiégée. « Tant qu’il me restera un homme pour tirer un coup, répétait le capitaine de frégate commandant de la batterie, M. Penhoat, tant que j’aurai un canon et un servant, je tirerai. »

Les morts jonchèrent bientôt le sol, le sang ruissela. Emportés à l’ambulance, les blessés n’y arrivaient pas toujours vivants. Cependant jusqu’à midi, sans discontinuer, quatre obusiers de 22 tirèrent du fort Génois. La place ripostait, et souvent un canonnier succombait avant d’avoir pu faire retomber cette espèce de macaron mis à la bouche de la pièce pour la protéger.

Le commandant Penhoat continuait à donner des ordres, surveillant le tir, debout, sans même baisser la tête quand passaient les bombes ; il mettait là tout son courage et aussi son entêtement de Breton.

À une heure, le commandant et l’adjudant restaient les seuls officiers debout. Le dernier, après avoir contourné l’intérieur de la batterie, s’adressa à son chef :

« Commandant, dit-il, nous avons une seule pièce intacte, toutes les autres sont couchées sur leurs affûts brisés.

— Eh bien, monsieur, qu’on tire avec cette pièce, qu’on tire encore, qu’on tire toujours.

— Commandant, les servants sont morts ou blessés.

— Eh bien, monsieur de Résort, tirez vous-même, puisque vous êtes officier canonnier. »

Ferdinand tira le dernier coup de canon qui partit du fort Génois. Immédiatement après l’ordre arriva de cesser le feu. La batterie fut supprimée le lendemain.

Employé ailleurs, le commandant Penhoat avait chaudement