Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/256

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« Après une lutte acharnée, les divisions Bosquet et Bourbaki enfoncèrent les bataillons ennemis.

« Comme les Spartiates aux Thermopyles, les troupes anglaises combattirent sans reculer d’un pas. « Enfin les zouaves et les tirailleurs algériens achevèrent la déroute des Russes, repoussés de toutes les lignes attaquées par eux le matin.

« Au cours de l’action, des détachements de marins dégagèrent l’aile gauche de notre armée, en refoulant des ennemis bien supérieurs en nombre. »

La victoire était complète. Cependant les généraux anglais et français comprirent, le 5 novembre, que la lutte durerait encore longtemps, ardente, opiniâtre et courageuse.

À Inkermann, 8 000 Russes furent tués ou blessés, 12 000 hors de combat, et 4 000 environ pour l’armée alliée, avec une grande proportion d’officiers.

Dès le lendemain, une lettre d’Harry apprit à Ferdinand et aux officiers du Henri IV diverses péripéties de la bataille d’Inkermann.

Ayant narré ce que l’on sait déjà, la lettre continuait ainsi :

« Je n’ai pas reçu une égratignure, mon cher ami ; mais hier j’ai désiré mourir en voyant tomber tant de chefs et tant d’amis. Les nôtres ont été sublimes, répétez-le à tous, sublimes de patience, de courage, d’audace et de sang-froid.

« Malgré notre victoire, le deuil est général au camp. On y pleure lord Cathcart et tant d’autres. Devant moi, ce matin, notre cher général, duc de Cambridge, disait à lord Lucan : «  La vue de ce champ de bataille m’a brisé, et je sens que je suis trop vieux maintenant pour rendre aucun service. Je vais écrire à Sa Majesté de vouloir bien m’autoriser à rentrer en Angleterre. »

« Hier soir, avec mylord Cardigan, nous avons parcouru le ravin au-dessous du camp, éclairés par des torches et précédés par des soldats, des infirmiers et des médecins. Ah ! my dear, quel horrible spectacle ! Nous glissions dans le sang. Il faisait sombre ; mais parfois la lune se dégageait des nuages, et ses rayons tombaient sur de pâles figures aux traits contractés par l’agonie. Quelques-unes souriaient encore. Ils avaient dû tomber ainsi le sourire aux lèvres devant cette belle mort au combat… Plusieurs blessés furent trouvés vivants, enterrés sous des monceaux de cadavres. Songez, my dear, à ce que ceux-là avaient dû endurer pendant plusieurs heures ! Et parmi ces derniers je découvris un ami d’enfance, Georges Ellis. Il agonisait, les deux jambes brisées et le côté gauche ouvert. Nous