Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/275

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Après avoir salué la maîtresse de la maison, Le Toullec s’écria : « Je viens de chez le préfet, madame, et cet homme m’a refusé, oui, madame, refusé, en me donnant des raisons pitoyables, madame, et je crois que je vais jurer. »

Le brave homme paraissait hors de lui et on eut beaucoup de peine à arrêter un torrent d’injures qu’il adressait au préfet maritime. Enfin, grâce à un excellent déjeuner et aux douces paroles de Marine, il se rasséréna.

À cet instant, Charlot apportait à sa maîtresse une lettre de l’amiral Dubourdieu, qui s’excusait de n’avoir pu obtempérer à la requête de Mme de Résort ; la lettre se terminait par ce post-scriptum :

« À la dernière minute, j’apprends qu’un paquebot supplémentaire des Messageries maritimes doit quitter Marseille pour Constantinople le 14 courant. Dans le cas où Mlle de Résort et le commandant Le Toullec s’embarqueraient sur ce bâtiment, je m’offre pour les recommander au capitaine du Pirée. »

«  Hem ! recommander, murmurait Le Toullec encore hérissé, avons-nous besoin d’être recommandés par un oiseau pareil ? »

Cependant ce départ du Pirée parut une véritable bonne fortune. Rue Puget, on fit donc en toute hâte les préparatifs nécessaires au voyage, et la jeune fille avec son compagnon quittèrent Toulon le 13 au soir par le courrier (car le chemin de fer n’existait pas alors au delà de Marseille).

À midi, le 14 février, le Pirée sortait du port de la Joliette ; il faisait un temps abominable, une pluie diluvienne combinée avec un coup de vent de nord-ouest ; mais le paquebot presque neuf était pourvu d’une puissante machine et commandé par un des meilleurs officiers de la Compagnie.

« Dès que nous aurons dépassé Malte, nous retrouverons le beau soleil, » répétait Le Toullec à sa compagne.

Épargnée par le mal de mer, Marine s’inquiétait peu du temps ; mais elle évoquait sans cesse la figure attristée de sa mère en lui disant adieu, qu’elle se représentait ensuite écoutant le bruit de la tempête, seule avec Paul dans ce grand salon, et puis la jeune fille songeait à ce père dont la maladie pouvait être devenue plus grave. Dans ce navire, dont le vent et les coups de mer ébranlaient les murailles, Marine et son vieil ami passèrent de tristes moments, presque seuls aux heures des repas, car le Pirée emportait surtout du matériel aux troupes de Crimée. Les passagers, quelques médecins civils, deux familles anglaises et trois dames, ne parurent guère avant Malte, où les prédictions du commandant Le Toullec se réalisèrent. La tempête s’apaisa subitement, et aussitôt ce beau soleil