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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

« Je veux écrire tout ce que je me rappelle pour pas rien oublier, quand je deviendrai grand. Le père de Marine, qui ne s’appelle point Marine, son père était un seigneur au Brésil, et très riche, et il s’appelait Juan d’Alméira, et il avait épousé une jeune demoiselle pauvre, j’ai oublié son autre nom à la demoiselle que Luisa, et le père de Juan, il avait été si colère qu’il avait chassé son fils sans du tout lui donner d’argent. Alors le fils, il est parti sur un grand bateau avec sa femme et sa nourrice, qui l’aimait bien, et moi j’étais le fils de sa nourrice, mais plus jeune que Jean, et ma mère elle ne m’aimait pas du tout et elle me battait, et dès que je prenais quelque chose chez lui, dont il n’avait pas du tout besoin, eh bien, Juan me battait aussi ; et d’abord j’aimais Luisa, elle était toute jeune et elle riait, et elle jouait avec moi, et puis un jour elle a dit que je lui avais pris sa montre, alors le capitaine du bateau il m’a mis dans une prison où je mourais de chaud, et après j’ai détesté tout le monde. Et puis on est arrivé en Amérique et au Canada, et Juan a voulu travailler pour gagner de l’argent, et ma mère elle faisait la cuisine et tout dans la maison, et Luisa elle devenait malade, et elle avait une petite fille, et tout le monde adorait cette petite, et ma mère me forçait à la promener, à la bercer et puis à nettoyer la maison, et puis à faire des commissions, et un jour que j’avais pincé la petite Juana, Juan m’a battu si fort que j’en ai été malade. Et puis Luisa est devenue morte, et le père d’Alméira il a écrit à son fils de venir le trouver à Paris, et puis nous avons tous parti sur un gros bateau pour la France, au Havre, et arrivés tout près, il est arrivé une grosse tempête, et comme le capitaine et les matelots ils ont beaucoup bu, ils se trouvaient tous gris, et Juan et ma mère les suppliaient, et ils riaient, et alors le bateau était perdu, et on nous a embarqués dans une barque, Juana et moi, sans vouloir prendre ma mère et Juan, et les autres barques étaient parties. Alors nous avons entré sur le sable, à Biville, et seulement moi et Juana étions vivants, et elle Juana avait trois ou quatre ans et moi onze ans. Et Juana, elle a été malade et puis elle a guéri en oubliant presque toute la manière dont elle parlait chez nous ; moi j’avais pas oublié ; mais j’ai rien voulu dire jusqu’à j’ai su parler français. Je voulais pas leur dire le nom et le pays de Juana, et comme ça ils n’ont pas pu me forcer, et puis ils ont cru mes mensonges. Mais tout de même, ils n’ont pas voulu me traiter comme Juana, et la dame l’a aimée et pas moi, et je suis devenu comme enragé contre elle, qui me prenait l’amitié de la dame du Pin et contre Ferdinand ; eux sont riches, moi je suis pauvre et je dois travailler avec le berger, qui n’est pas