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Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/291

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méchant ; mais il m’ennuie en me disant d’être content de mon sort, comme si on pouvait être content d’être un petit berger et de voir des autres riches et avoir tout, et, sans Juana qu’elle appelle Marine, la dame m’aurait pris avec elle puisqu’elle a pris Marine, et jusqu’à les domestiques qui me maltraitent, et Fanny, la bonne, et Charlot ont dit à la dame que c’était moi qui ai volé l’autre boucle d’oreille à Juana, et comment est-ce qu’ils peuvent le dire puisqu’ils ne m’ont pas vu ? »

Ayant achevé sa lecture, Ferdinand resta un moment silencieux, et puis il relut certains passages. Le berger avait donc raison en affirmant autrefois que, s’il l’eût voulu, Thomy pouvait mettre sur la piste des parents de Marine.

« Vous ne me questionnez pas ? demanda Keith à son ami.

— J’étais absorbé dans mes réflexions ; mais à présent, Harry, dites-moi comment cette lettre est tombée aux mains de votre colonel ; ensuite je tâcherai de rejoindre Thomy.

— Vous ne le rejoindrez pas en ce monde.

— Il est mort, s’écria Ferdinand, où ? comment ?

— D’une façon terrible, mangé par les loups.

— Ah ! pauvre malheureux !

— Non, Résort, dites plutôt misérable espion. Écoutez : Ce matin, j’ai été envoyé en parlementaire à la place convenue entre les belligérants au moment où nous contournions le cimetière, nous entendîmes des cris rauques et nous précipitant, mes soldats et moi, nous découvrîmes quelque chose d’horrible : dans un trou assez profond, les cadavres d’un homme et de deux loups, et deux autres loups vivants. Ses forces décuplées par le danger avant de mourir, l’homme étrangla sans doute ses deux premiers ennemis ! À coups de fusil nous tuâmes les autres, qui, pris au piège, essayaient vainement de gravir les parois glissantes de cette espèce d’entonnoir. Le mort n’avait plus forme humaine ; nous le retirâmes avec quelque peine. Et parmi des loques informes, il y avait un lambeau de pantalon tout sanglant, mais dans la poche duquel un petit sac de cuir restait intact. Ce sac renfermait : 1o environ mille francs d’or russe, et un sauf-conduit pour entrer librement à Sébastopol, signé du commandant de la place assiégée ; 2o un livret au nom de Thomy, adjudant d’artillerie, et 3o le papier que voici.

« Ma mission remplie, je rapportai le sac et son contenu à mon colonel, en le priant de vouloir bien me faire rendre le papier qui pouvait vous intéresser.

— Et les restes du malheureux ?

— Nous les enterrâmes dans la neige, sous le mur qu’il venait