Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/69

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plaisance à interroger cette jolie enfant qui les écoutait avec un air posé et intelligent. Mais elle ne comprit aucune phrase, aucun mot ; d’ailleurs, presque une année s’était écoulée depuis la catastrophe, et durant cette année, entendant seulement parler français, Marine commença par se servir très peu et ensuite plus du tout de l’idiome dans lequel elle s’exprimait d’abord.

Mme de Résort revint aux Pins aussi peu éclairée qu’elle en était partie, et, pendant que Ferdinand embrassait « la petite sœur », sa mère répondit ainsi aux questions des fermiers et de ses domestiques :

« Je n’ai rien appris et ne puis m’empêcher d’en être ravie. Marine ne nous quittera plus, car je suis résolue à discontinuer mes recherches, ayant fait ce que ma conscience m’ordonnait à cet égard : l’avenir regarde la Providence. »

Ce même jour, lorsque Marine fut couchée, Ferdinand resta, ainsi qu’il faisait chaque soir, une heure au salon à causer ou à écouter une lecture.

« Tu es content, mon chéri, lui dit la mère, et tu seras heureux de partager tout à l’avenir avec cette sœur que Dieu t’a envoyée.

— Oui, maman, bien, bien heureux, et il faut que je vous conte deux choses à propos de Marine ; il y en a une qui m’ennuie un peu ; mais n’est-il pas vrai, maman, que je dois tout vous dire, absolument tout, car c’est mal de vous cacher un secret ?

— Oui, très mal, mon enfant, répondit la mère un peu inquiète, oui, très mal ; mais devant n’importe quel aveu, exprimé librement avec franchise, même d’une faute grave, je te promets toute indulgence. Qu’as-tu fait ou dit, mon chéri ? embrasse-moi d’abord et parle.

— Eh bien, maman, je vous avouerai que ce matin j’avais grand’ peur que Marine ne restât à Cherbourg, je me sentais inquiet et agacé ! Alors, au lieu de terminer mes devoirs après le déjeuner, j’ai supplié Fanny de me conduire à la promenade, et j’ai réellement menti en disant à Fanny que tous mes devoirs étaient écrits et mes leçons sues. Mais ce n’est pas tout, maman, et ne me grondez pas encore, autrement je vais m’embrouiller. Nous avons donc été sur la plage et je me suis bien amusé sans songer à mon mensonge, et puis nous sommes montés à Biville, et là Fanny m’a proposé de mettre un cierge pour obtenir que vous rameniez Marine, et nous avons payé le cierge à nous deux : cinq sous pour ma part, que j’avais gagnés avec mes bons points. Et puis nous revenions par la lande, et Fanny me contait des histoires de son pays et de Charlot, maltraité lorsqu’il était petit, et malheureux, mais toujours bon et ne mentant jamais…