Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/75

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nœuvre ajouta, son binocle à la main : « Il y a positivement quelqu’un sur cette bouée. »

Bientôt on n’en put douter : tout extraordinaire et invraisemblable que cela parût, il y avait quelqu’un sur la bouée, et maintenant à l’œil nu on distinguait un homme, le bras en l’air, agitant un objet.

Dieu seul savait d’où venait ce malheureux qu’il s’agissait d’aller secourir. On manœuvra donc et on prit la panne… Quelques minutes s’écoulèrent entre la mise à l’eau d’une baleinière et son retour. Et alors dans l’embarcation, hissée à bord, se trouvait… Jacques de Langelle, un aspirant du Neptune, évanoui !

Le pauvre enfant resta ainsi, inerte, durant plusieurs heures. Enfin, le soir, grâce aux soins du docteur, il ouvrit les yeux, et, ses forces revenues, il put donner la clef du mystère.

Au moment où l’on avait crié : « Un homme à la mer ! », l’aspirant, dans les porte-haubans d’artimon de tribord, regardait le soleil se coucher. Alors, confiant dans son habileté de nageur, il se jeta à l’eau pour secourir le matelot. Tous ayant les yeux tournés vers tribord où l’accident s’était produit, personne ne vit Langelle, qui plongeait et saisissait la bouée de bâbord, pendant que l’embarcation se dirigeait vers l’autre homme, beaucoup plus rapproché du vaisseau que lui-même.

Certain d’avoir été aperçu par l’équipage de la baleinière, l’aspirant resta saisi de stupeur en découvrant cette baleinière en l’air qu’on hissait à bord… Et puis le Neptune rétablit ses voiles et s’éloigna. Il cria avec frénésie, toujours poussant sa bouée, et au milieu de l’obscurité nageant à s’épuiser pour atteindre le navire devenu invisible…

La réflexion suivante acheva de le désespérer : « Certainement, personne ne s’inquiétera de mon absence, je n’ai aucun service à faire avant huit heures demain matin, et si par hasard, ce soir, on pense à moi, on sera convaincu que je dors couché dans mon hamac. » Un instant, la folie du vertige s’empara de cette jeune tête, et Jacques éprouva la tentation de se laisser couler. Cette eau profonde, unie, l’attirait. En bas, tout au fond, des voix semblaient l’appeler et des étoiles paraissaient danser sous ses pieds. Une de ses mains avait déjà lâché l’appui précaire…, mais, secouant sa torpeur, l’enfant pensa à sa mère : alors, il leva les yeux vers les étoiles, immobiles celles-là, dont la douce clarté le consola. Il récita : « Notre père… » Ensuite il se jura de lutter quand même jusqu’à l’aube. Certainement on viendrait à sa recherche dès que sa disparition serait signalée. Les commandants ne se lasseraient pas avant de retrouver celui qui manquait à