Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La vie régulière a repris son cours. La bordée est étendue sur le pont. Penché au dehors sur son banc de quart, l’officier de service surveille la brise qui mollit toujours. La nuit tombe, sans lune ; les étoiles magnifiques illuminent le ciel. Le commandant et le capitaine de frégate arpentent la dunette.

« Très bien faite, cette dernière manœuvre, dit le premier, pas un fil de caret cassé avec toutes ces bonnettes. Ce jeune Kérec est déjà un bon officier et vos baleiniers ont été parfaits.

— Oui, commandant, mais ils ont oublié la seconde bouée, jetée après l’autre, de sorte qu’avec les deux enlevées par une lame au cap Horn, il en reste seulement une à bord, et c’est peu.

— Eh bien, mon cher, nous en achèterons au Callao.

— Certainement ; mais d’ici là, qui sait ? Et si nous perdions un homme faute de bouée ?… Nous avancerons peu cette nuit. La brise telle quelle sera remplacée à minuit par des souffles de terre, et, tout considéré, ne pensez-vous pas, commandant, qu’il serait facile de combiner nos routes de façon à nous trouver au point du jour sur la bouée perdue ?

— Hem ! je ne verrais pas absolument d’obstacle à tenter l’aventure ; mais le succès m’en paraît douteux. À votre guise, cependant. Bonsoir, Résort, à demain. Je vais écrire les ordres pour la nuit. »

Le lendemain dès l’aube on gouvernait sur la bouée restée suivant toute probabilité à quelques milles dans le sud. Brise molle de l’est et mer plate. Le Neptune « au plus près » filait à peine deux nœuds ; glissant sans secousse, il semblait immobile sous ses voiles très légèrement gonflées. Les hommes de vigie, longue-vue en main, fouillaient l’horizon. L’aspirant de quart était sur les barres du petit perroquet, et sur la dunette les deux commandants regardaient avec leurs jumelles. Cette recherche d’un morceau de bois, perdu au milieu du Pacifique, intéressait tout l’équipage à un égal degré.

« La bouée devant, un quart par tribord », cria-t-on du mât de misaine.

L’intérêt augmentait, tous admiraient le coup d’œil du chef. M. de Résort se frottait les mains. On avait mis la bordée de quart au poste de manœuvre.

« Voyez-vous aussi la bouée ? demanda le commandant à l’enseigne de service sur le gaillard d’avant.

— Oui, commandant, elle nous reste très peu sur bâbord. Ah… mais… mais… oui… j’en suis certain !… il y a quelqu’un dessus, un homme !

— Allons donc… » cria le commandant. Mais l’officier de ma-