Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/81

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avant qu’on ait mis le youyou à l’eau… Alors j’ai fait ni une ni deusse, je me jette à bas de ma hune par les haubans sur le gaillard d’arrière et ensuite à l’eau, où j’attrape Frisette par son collier et nous remontons à bord ensemble ; j’ai eu du mal tout de même, car l’entêtée, elle voulait continuer sa chasse sans penser aux requins, car il y en avait des poissons volants, tout autour de nous, j’en ai jamais tant vu, commandant. Et alors, avant de me sécher, j’ai enfermé Frisette dans votre chambre, et voilà l’histoire, commandant, foi de Marius Maillart. »

« L’animal contait cela avec son accent toulonnais…, il parut tomber des nues quand je lui répliquai :

« Et toi-même, les requins ne t’auraient-ils pas mangé en une bouchée ? C’est miracle que tu sois là avec tes deux jambes. Ne songeais-tu pas à cela ? et pour un chien !

— Commandant, c’était la bête à votre petit, et votre petit, sans vous offenser, il a les yeux d’un que nous avons perdu tout petit ! Mais, vous savez, commandant, on regrette tout de même. »

« L’animal souriait de nouveau et me regardait. J’ai promis ensuite cinq jours de fers à quiconque se baignerait sans permission. »

La fin de la lettre n’intéresserait pas le lecteur. L’histoire de la bouée et celle du chef de hune défrayèrent longtemps les conversations aux Pins. La malle de Paris, si impatiemment attendue, venait alors de distribuer à Cherbourg et aux environs le courrier de l’Amérique du Sud. La campagne du Neptune durait déjà depuis dix-huit mois.

Cependant l’affection de Thomy pour « la dame » devenait de plus en plus bizarre et jalouse. Devant lui, Mme de Résort parla un jour d’une nichée de martins-pêcheurs aperçue contre une paroi de falaise. Le lendemain, dès l’aube, la nichée lui était apportée par Thomy, tout sanglant, ses vêtements en lambeaux, et qui avait certainement risqué sa vie pour atteindre une place accessible aux seuls oiseaux de mer. Mme de Résort, très touchée, remercia le petit sauvage tout en lui défendant de recommencer. Mais la semaine suivante les oiseaux devinrent l’occasion d’un drame. Entrant alors dans une rage folle, Thomy menaça de frapper Marine qu’il avait trouvée en extase devant une grande cage où gazouillait cette même nichée de martins-pêcheurs.

« Qui t’a permis de prendre cela ? criait Thomy ; ce n’est pas à toi, tu es une voleuse et je vais te battre si tu touches encore à ces oiseaux ; ils sont à la dame.

— Maman nous les a donnés, répondit Marine, épouvantée de l’expression méchante qu’avait le visage de Thomy ; elle nous les a donnés, ajouta-t-elle, à Dinand et à moi, et ils nous connaissent déjà,