Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/80

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comme c’est généralement une personne bien élevée, je veux entendre ses raisons avant de la corriger d’importance ; alors, découvrant le lit, j’aperçois la délinquante toute mouillée et mes draps trempés de part en part.

« Comment a-t-on laissé baigner cette bête dans ces eaux pleines de requins ? dis-je au timonier qui répondit à mon vigoureux coup de sonnette.

— Je sais pas, commandant, j’ai pas idée.

— Eh bien, allez vous informer et venez me le dire. »

« Cependant Frisette, l’air honteux, tremblait toujours de peur bien plus que de froid. Le timonier revient.

« Commandant, c’est que Frisette s’est jetée à l’eau, et alors, crainte des requins, Maillart, le quartier-maître de la hune d’artimon, il a sauté de sa hune sur le gaillard d’avant et du gaillard dans l’eau pour repêcher Frisette, il y a une demi-heure de ça, commandant, et voilà…

— Appelez cet imbécile de Maillart. »

« Ledit imbécile arrive. Lui n’est plus mouillé, sauf ses cheveux restés collés aux tempes, et chiffonnant son bonnet, il baisse les yeux.

« Voyons, raconte vivement et franchement.

— Eh bien, commandant, j’étais pour lors dans ma hune, très occupé avec mon perroquet, il commenceà très bien parler, c’t’oiseau, et il dit Frisette comme vous et moi, aussi distinctement, et… et… »

« L’animal souriait et commençait à me regarder du coin de l’œil. Je sentais venir une de ces interminables digressions chères aux matelots.

« Si tu ne t’expliques pas vite, tu iras aux fers, » lui dis-je en fronçant les sourcils, et j’ajoute : « Comment as-tu pris un bain dans une rade bourrée de requins ?

— Vrai, que je suis fautif, commandant ; enfin, voilà : j’étais donc dans ma hune et tout à coup j’aperçois Frisette sur le balcon du carré, et elle sautait, ayant l’air d’avoir perdu la tête. Alors je vois la cause de sa folie : c’étaient des poissons volants, des drôles de bêtes, allez, qui passaient et repassaient autour de Frisette, ayant l’air de la narguer. Les poissons voulaient tout bêtement échapper aux autres qui les poursuivaient. Mais ces poissons asticotaient Frisette, et dans un élan : « Bon, que je me dis, la caniche est à l’eau ! » Elle y était, en effet. Alors, je me redis : « Le commandant aime sa bête, et puis le petit au commandant y pleurait en quittant Frisette. » Je l’ai vu dans la baleinière pendant que nous le ramenions sur le Dauphin avec votre dame, commandant, et alors les requins auraient dévoré Frisette