Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/84

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de onze ans, grand et fort pour son âge, avec un air ouvert et des yeux intelligents.

M. de Résort, très maigre, bronzé, avait bien plus de cheveux gris qu’au départ. « Mais le bonheur me remplumera, répondit-il en riant des inquiétudes de sa femme. Vous, Madeleine, vous êtes toujours la même, et Dieu soit béni qui nous rassemble encore. Savez-vous que je suis frappé et charmé par l’honnête figure de notre fils ? Ferdinand paraît tellement plus raisonnable qu’autrefois, et puis il sait s’oublier. Quand il a mis cette jolie petite créature dans mes bras avant de s’y jeter lui-même, aussitôt à bord, en me disant : « Papa, voilà ma sœur Marine ; papa, il faut l’aimer autant que vous m’aimez, » eh bien, Madeleine, j’ai eu grand’peine à ne pas sangloter comme un enfant, là, devant tout le monde.

— Devinant votre émotion, répondit Mme de Résort, j’ai regardé autour de nous et je puis vous assurer que le commandant et les officiers présents avaient les yeux humides. Elle vous plaît donc, ma petite épave ?

— Oui, Madeleine, cette enfant me charme et j’espère remplacer le père qu’elle a perdu, comme vous avez su remplacer la mère absente ; je crois que notre fils aura plus tard le cœur trop haut placé pour jamais regretter cette adoption. Mais parlez-moi du garçon et de votre ami le berger ?

— Après huit mois d’absence, le berger est revenu hier chez nous ; il ramenait à Siouville ses moutons et son chien, mais non pas son filleul, disparu, sans laisser de trace, à Rennes où Thomas avait dû séjourner quarante-huit heures, afin d’acheter du bétail. La police avertie n’a pu fournir aucun renseignement. Au fond, je suis fort aise de cela, à cause du berger, cassé et vieilli par suite des soucis dont ce méchant petit sauvage l’abreuvait. Mais Thomas affirme que Thomy finira mal et que, lui, il serait peut-être arrivé à le corriger.

— Quel bon temps nous allons passer aux Pins, Madeleine, et quelle soif j’ai de vivre au vert auprès de vous trois ! Cependant la semaine prochaine me sera terrible : on désarmera notre pauvre vieux Neptune. N’est-il pas très beau, malgré cette longue campagne ? Quel commandant j’avais et quels braves officiers, sans compter tous ces hommes qui se fussent jetés à l’eau pour moi !

— Comme l’un d’eux s’y précipita afin de repêcher Frisette. Mais où sont les enfants ?

— Sur la dunette, Madeleine, je les entends rire, et, soyez tranquille, dix matelots doivent s’être mis aux ordres de ces gamins et leur avoir donné une foule d’objets rapportés des pays lointains ; allez