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Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/85

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y veiller, car ces braves gens sont d’une extravagante générosité dès qu’ils touchent terre. »

En effet, Mme de Résort découvrit son fils et Marine au milieu d’une centaine de petits objets, la plupart horribles, mais auxquels les marins attachent grand prix : coquillages, graines du Pérou, colliers, amulettes… Marine battait des mains et riait un peu affolée, tandis que Ferdinand regardait tendrement un gros perroquet vert, l’ami de Frisette, dont l’oiseau répétait le nom, à la grande satisfaction de son précepteur, un deuxième maître de timonerie. Et le soir il fallut accepter ce perroquet, que son propriélaire affirmait avoir élevé pour le fils du commandant. De son côté Marine revint chargée d’une cage où chantaient une douzaine d’oiseaux des tropiques. D’heureux enfants s’endormirent ensuite à l’hôtel de l’Amirauté. En se réveillant, leur joie ne connut plus de bornes lorsqu’ils aperçurent la cage pleine d’oiseaux chantant et bien portants, déjà pourvus de graines par les soins de Fanny, tandis que le perroquet répétait : « Frisette, Frisette, » et que la caniche répondait : Wap, wap, mordillant la queue du bavard qui ne protestait nullement.

Décidément la vie avait de belles heures, et celles-ci restèrent parmi les plus rayonnants souvenirs de Ferdinand et de Marine. Un papa retrouvé pour l’un, trouvé pour l’autre, et quel papa ! Chose rare aussi, la réalité avait dépassé l’espérance. Les enfants passèrent la matinée à jouer. Alors pour la première fois Ferdinand confia à Marine ses projets d’avenir. Il serait marin, il combattrait auprès de papa devenu un grand amiral de France, et tous deux détruiraient des escadres et tueraient quantité d’ennemis.

« Quels ennemis ? des méchants alors ?

— Non, les ennemis c’est pas toujours des méchants.

— À ta place, Dinand, j’aimerais pas à tuer des bons ennemis, moi d’abord ça me ferait trop de chagrin.

— Les filles ne comprennent pas ces choses, » reprit Ferdinand d’un air légèrement dédaigneux.

Pendant le déjeuner et pour la dixième fois peut-être depuis son lever, Marine répétait à Mme de Résort :

« Maman, j’aime ce papa ; il va venir, dites ? Et puis j’aime Frisette, mais pas de la même manière, et aussi le perroquet vert et les autres oiseaux, et bien sÙr, maman, je ne croyais pas qu’une petite fille pût être aussi heureuse que moi. »

Alors, s’adressant à Ferdinand, Marine ajouta :

« Tu n’es pas fâché, dis, tu veux bien me céder la moitié de ton papa ? Ça ne te fait pas de chagrin, dis ? »