court, maintenant proviseur. L’idée seule de passer de l’obscurité du comptoir, à la lumière d’un grand lycée de Paris effrayait M. Burnouf : « Comment dicter aux autres des leçons ? Se souvenait-il seulement de celles qu’il avait reçues ? » Il fallut faire violence à sa modestie, et le prendre par trahison. M. Auvray alla le dénoncer au négociant comme coupable d’un projet de désertion, lui, le perfide embaucheur. L’invention était trop vraisemblable pour ne pas obtenir créance ; il s’ensuivit une rupture, et la métamorphose du pauvre commis en un excellent professeur fut opérée, non sans quelque difficulté nouvelle d’où l’on aurait dû le moins en attendre. M. Gueroult craignait l’effet de l’air embarrassé de M. Burnouf, de son organe un peu sourd et surtout de sa petite taille sur le futur auditoire. Étrange erreur d’un maître si judicieux et si expérimenté ! Les écoliers sont malins, mais justes ; quelquefois mutins, mais clairvoyants ; ils ont un tact merveilleux pour deviner ceux qu’il leur est utile d’écouter, et un grand sens pour se soumettre à l’autorité de qui gouverne par le droit du mérite. Il eut bientôt fait reconnaître et accepter la sienne, qui ne cessa point de s’accroître d’année en année avec la richesse et la fécondité de son enseignement.
Il se rencontre ici une singulière conformité que je ne puis m’empêcher de remarquer, dans les commencements de la carrière de M. Burnouf, avec celle d’un des plus grands philologues de l’Allemagne, l’illustre Heyne : tous deux nés d’humbles artisans, et tenant de la bienfaisance des étrangers leur première éducation ; tous deux supportant avec un admirable courage, un courage de prédestinés, les inquiétudes et les détresses d’une existence précaire; tous deux jetés brusquement