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neront aux personnes qui l’ont connu plus particulièrement, d’être accablées sous le poids de son infortune. Vous auriez de plus qu’eux, un jour, les plus pénibles remords, vous qui prêteriez l’oreille au dernier vœu de ses impitoyables ennemis. Il faut oser, cependant, le considérer ce barbare vœu ; il faut avoir le courage d’approcher son imagination du plus horrible des forfaits ; il faut se vaincre par un généreux effort, et renoncer ensuite au monde et à soi-même, si le Ciel ne venoit pas prêter son assistance aux foibles défenseurs de la vertu malheureuse et de l’innocence opprimée. Et comment pourroit-on se délivrer des plus sinistres idées, lorsqu’on parcourt ces papiers sanguinaires, qui dirigent depuis si long-temps l’opinion du Peuple, et lorsqu’on voit ensuite, l’influence de cette opinion sur les hommes, appelés par leurs fonctions à être les interprètes de la justice et les organes de la vérité ? Comment pourroit-on se délivrer des plus sinistres idées, lorsqu’on entend déjà des personnes en Pouvoir ou en crédit, se servir d’un langage que ma main se refuse à transcrire, et qui, en tout autre moment, auroit glacé d’effroi le cœur des Français ; oui, en tout autre moment pris entre les quatorze siècles qui se sont écoulés depuis la fondation de la Monarchie ?

C’est à une entreprise unique dans les Annales du monde, c’est à un attentat, dont les Historiens transmettent le récit avec horreur, et que les Anglois expient encore chaque année, par un repentir solemnel ; c’est à ce crime public, dû à l’ambition d’un seul homme, que l’on voudroit préparer par degrés la Nation Françoise. Ah ! vous qui avez évité soigneusement, et peut-être avec une sorte d’affectation, de prendre en aucun point ces Anglois pour modèles, ne feriez-vons une seule exception qu’en faveur d’une action barbare ? Que dis-je ! vous croiriez marcher sur les traces des esclaves de Cromwel, de ces Juges dévoués à ses passions politiques, de ces Juges dont les noms restent à jamais flétris dans le souvenir des hommes ; vous croiriez marcher sur leurs traces, et vous vous tromperiez encore, car vous n’auriez pas même leur excuse. Oseriez-vous, en effet, mettre en parallèle avec les reproches trop justes qu’on avoit droit de faire au malheureux Stuart ? Oseriez-vous mettre en parallèle avec ces reproches, les accusations que vous êtes obligés de fonder sur des conjectures, ou que vous tâchez d’extraire de quelques papiers trouvés dans le Cabinet du Roi, ou chez les Agens de sa Trésorerie ; accusations dont aucune ne restera dans la mémoire des hommes, comme il arrive à toutes les notions vagues, confuses, incertaines, et qui n’ont de consistance que par artifice, où par la couleur passagère que leur donnent les passions ? Voici ce qu’avoit fait, pendant son