Page:Necker - Réflexions présentées à la nation française sur le procès intenté à Louis XVI - 1792.pdf/4

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servera, n’en doutez point, le souvenir éternel. Que seroit-ce, grand Dieu ! si, près des lignes qu’elle tracera pour consacrer les vertus publiques et particulières d’un infortuné Monarque, si, près de cet auguste témoignage, on avoit à lire un jour, le récit du plus horrible des forfaits et de la plus barbare ingratitude ! Déjà, cependant, et au sein de la France, au milieu de cet Empire dont la destinée fut unie pendant neuf cens ans aux illustres ayeux de LOUIS XVI, personne n’ose encore élever sa voix en faveur de ce Prince ; c’est en secret qu’on pleure ses malheurs, et c’est avec la plus grande publicité, c’est par tous les genres d’Écrits qu’on cherche à le ruiner ou à le dégrader dans l’opinion publique.

Il appartient, peut-être, à un ancien Ministre de ce Monarque, et à un témoin de ses vertus et de ses bienfaits, de se placer des premiers au rang de ses défenseurs ; et toutes les affections de mon ame, en saisissant avec transport cette pensée, ne m’ont pas laissé le temps de mesurer mes forces. Hélas ! serai-je entendu, lorsque tous les abords sont fermés aux amis de l’innocence opprimée, et ma voix, ma foible voix pourra-t-elle pénétrer à travers le bruit des passions, et au milieu du tumulte qu’une sombre politique agite et dirige à sa volonté ? Je l’essayerai du moins, et je confie à la protection des ames généreuses et sensibles, ces lignes que je vais tracer d’une main tremblante et avec toute l’émotion d’un cœur oppressé.

Je vous le dirai sans crainte ; c’est de votre honneur, Peuple Français, c’est de votre réputation jusques dans les âges les plus reculés, dont il s’agit peut-être en ce mémorable instant ; car, après avoir assujetti votre Roi, après avoir soumis votre captif aux Décrets de votre Toute-Puissance, vous aurez à comparoître vous-même, devant le Tribunal de la Postérité ; et bien avant, vous aurez à compter, sans doute, avec vos repentirs et avec vos remords trop tardifs.

Ne vous y méprenez point, ce n’est pas sur des papiers épars, et saisis inopinément dans le cabinet du Roi, ou dans les bureaux des Agens de sa Trésorerie, ce n’est pas sur quelques indices susceptibles de diverses explications, que vous serez absous des rigueurs dont vous vous rendez coupables envers un Monarque, devenu par ses malheurs, l’objet de l’intérêt universel. C’est en vain sur-tout, que vous voudrez séparer de sa cause les titres qu’il réunit, depuis si long-tems, à votre estime et à votre reconnaissance ; la voix des Nations vous y rappellera sans cesse ; et les subtiles inductions que vous voudriez tirer d’une circonstance particulière, les raisonnemens que vous formeriez sur des faits isolés, toute cette controverse où tant de passions se mêlent nécessairement, ne fixera point d’opinion générale ; car, dans les