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contestations publiques, c’est toujours par des traits marquans et visibles, pour ainsi dire, à toutes les distances, que les Nations et les siècles apprécient la justice des Rois et la justice des Peuples. Le temps, dans son auguste marche, écarte en souverain maître ces petites accusations plus ou moins dignes de foi, et auxquelles l’esprit de parti attache momentanément une si grande importance ; le temps les condamne toutes à un éternel oubli ; et les pierres numéraires qui désignent son cours, ne transmettent au souvenir des hommes que les vérités dignes de leur intérêt et de leur croyance, et les mêmes qui échappent au combat passager de toutes les passions.

C’est, dès-à-présent, à la lumière de ces grandes vérités, que les Nations étrangères dirigent leur opinion, et l’Europe entraînée par des considérations morales, plus sûres que tout autre guide, fait universellement les réflexions suivantes sur les accusations élevées contre le Roi. Et d’abord on est frappé du désavantage de sa position, de cette position difficile dans laquelle on l’a placé. En effet, on a cherché à diriger l’opinion par tous les genres d’Écrits, on a fait imprimer en petites feuilles détachées, des Notes habilement choisies entre les différens papiers dont on s’est emparé, en y a joint les commentaires qui pouvoient donner une grande importance à de petits objets, ou convertir en réalités de simples apparences ; on a répandu ces recueils dans tous les départements, dans toutes les Municipalités ; om a voulu même qu’ils fussent lûs aux Prônes et sur les places publiques ; et tandis qu’on s’est rendu maître de l’esprit du Peuple, et par des mesures générales, et par tous les soins de détail, on a semé l’effroi parmi tous ceux qui auroient voulu plaider la cause d’un Monarque infortuné ; et leur morne silence annonce distinctement que la plus légère expression d’un sentiment de pitié, deviendroit un motif de proscription. Quelle renommée, quelle innocence ne succomberoient pas sous les effets d’une pareille combinaison ! Et croiroit-on remplir tous les devoirs de la justice, en permettant au Roi de parler un Jour pour sa défense ? Qu’est-ce qu’un pareil droit ? Qu’est-ce qu’une telle liberté, lorsque toutes les opinions sont faites, et lorsqu’on a eu le temps de les plier dans un meme sens ? C’est au moment où les préjugés se forment, c’est au moment où ils se préparent qu’il faut avoir la faculté de les combattre ; car lorsqu’ils ont pris leur croissance, la main foible et tremblante d’un seul homme, et d’un homme accablé sous le poids de son infortune, ne sauroit les déraciner. Que pourra le Monarque, que pourront ses défenseurs, lorsqu’on leur rendra la parole, après qu’on aura dépouillé l’accusé de toute sa réputation, de tout le respect qu’inspiroit son caractère, de tous les souvenirs qui plaidoient en sa faveur ? Hélas ! il en fallut bien