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moins autrefois pour perdre Phocion, Aristide et Socrate, et cependant la vie peu compliquée de ces Sages, ne présentoit pas à la calomnie les accès innombrables qu’offre dans tous les sens, la conduite d’un Roi, le Chef d’un grand État, et qui fut encore placé par la fortune au milieu d’une révolution sans pareille.

En des tems moins étranges que les nôtres, il eût suffi pour défendre le Roi, de rappeler ce qu’il a fait pour la Nation Française ; car, il n’est rien que des actes si insignes d’une généreuse bienfaisance, ne pussent balancer et même disculper s’il étoit nécessaire. Je fais donc un effort sur moi-même, en différant l’usage de ce moyen de défense, et en examinant d’abord les accusations particulières dirigées contre ce Prince. Je le verrai, comme s’il étoit circonscrit, pour ainsi dire, dans le temps présent, et sans être précédé, sans être environné par seize ans de vertus, et par tous les actes d’amour envers ses Peuples, qui ont signalé son règne. C’est avec ce cortége qu’il paroîtra devant les races futures ; mais séparons-le, pour un moment, de cette douce puissance, et sans chercher aucune assistance dans sa conduite passée, écartons d’abord par la discussion, les reproches dont ses accusateurs l’environnent. Je proteste néanmoins auparavant contre ce mode de défense, car ce n’est pas ainsi qu’il faut juger les Rois, leur tâche est si grande, leur vie est si remplie, leurs volontés sont entraînées par une telle affluence de motifs et de circonstances, qu’il seroit injuste de les soumettre aux mêmes règles et aux mêmes épreuves que les autres hommes. Il faut les considérer, même pendant leur règne, comme des personnages de l’Histoire, et se placer loin d’eux pour les apprécier ; enfin, dans un Monarque, c’est l’homme et le caractère, qui doivent répandre du jour sur les actions, tandis que dans un particulier, ce sont les actions qui font connoître l’homme.

Je fixe d’abord mon attention sur la journée du dix Août, et je demande s’il est possible de faire aux yeux de l’Europe, un reproche au plus malheureux des Princes, des mesures qu’il avoit prises pour sa sûreté ; s’il est possible sur-tout d’attribuer des précautions de ce genre à aucune intention hostile, à aucun projet de révolution ? Ah ! si l’on pouvoit communiquer avec la pensée des hommes, si l’on pouvoit interroger leur conscience, je m’en rapporterois, sans hésiter, à l’opinion intime de ceux qui, les premiers, ont répandu ces bruits, et propagé ces soupçons. Il est des suppositions, si dénuées de vraisemblance, qu’elles s’anéantissent d’elles-mêmes, et les insinuations les plus adroites, les inductions les plus recherchées, ne sauroient y donner la moindre consistance. L’Europe en lisant ces bisarres assertions, se demande avec étonnement, comment le Roi, sans aucune autre force que douze ou quinze cens défenseurs assurés, auroit formé